Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une jeune fille qui n’a aucune notion de la vie réelle, et que la nature pousse en avant, peut être entraînée par l’expérience ou la passion d’un homme qui sait comment on s’empare d’une femme ; mais une femme mariée, hélas ! madame, je suis forcé de vous le dire, n’eût-elle été mariée qu’un jour et une nuit, du moment qu’elle sait à quoi s’en tenir sur les conséquences charnelles du mariage, ne peut plus être entraînée. À la minute même où un homme lui dit pour la première fois et le plus respectueusement possible, qu’il l’aime, elle sait parfaitement à quoi tend cet homme. Ne pas le congédier dès le premier mot, c’est lui dire clairement : « Patience, monsieur ; vous avez des chances de vous amuser avec moi. »

Maintenant, madame, je vais tout vous dire pendant que j’y suis ; et je vais pour cela trahir mon sexe, car c’est votre salut que je veux : celui-là seul est digne de votre amour qui vous a jugée digne de son respect. Dire à une femme qui appartient à un autre qu’on l’aime et qu’on voudrait être aimé d’elle, c’est lui jeter à la face la plus grosse des insultes, c’est lui dire : « Je vous trouve bonne pour mes moments perdus, suffisante pour mes plaisirs, mais je garde mon nom, ma fortune, mon estime, ma liberté pour une plus honnête que vous, qui exigera de moi d’autres preuves d’amour que les petites convulsions que je viens vous offrir. » Rappelez-vous bien ceci, madame, et ne venez plus nous dire que vous l’ignorez, maintenant que c’est imprimé et que tout le monde peut le lire ; l’homme n’aime que la femme qu’il estime, et il n’estime jamais la femme qui ne peut se donner à lui qu’en se partageant. Au moment même où elle s’abandonne, alors qu’il est le plus passionné et le plus sincèrement à elle, il se fait à son insu dans son esprit, dans sa conscience, dans sa justice, un petit travail de décomposition qu’il trouve en rentrant chez lui, et après lequel la femme ne lui apparaît déjà plus telle qu’elle était auparavant. C’est le mépris qui est entré dans l’amour à dose infinitésimale, soit, mais qui augmentera tous les jours, et le mépris est le plus puissant