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dans nos mœurs, ni dans nos actes, ni même dans nos lois. De quoi rions-nous le plus au théâtre ? Du mari trompé. De quoi souffrons-nous le plus dans la vie privée ? D’être ce mari. Qu’est-ce que nous racontons le plus légèrement, le plus gaiement, le plus spirituellement ? Ce sont les mésaventures matrimoniales de nos amis. Qu’est-ce que nous redoutons le plus ? C’est qu’on ne raconte les mêmes histoires sur nous-mêmes. À celui qui nous aura appelé imbécile, nous nous contenterons de demander des excuses ou de donner un petit coup d’épée ; de celui qui nous aura appelé cocu, nous boirons le sang si nous pouvons. L’honneur de notre femme est donc ce qu’il y a de plus sacré pour nous, parce que notre femme, c’est notre nom, notre amour, notre plaisir, notre confident, la mère de nos enfants, la dépositaire de nos secrets, de nos faiblesses, de nos espérances, notre propriété enfin (voilà le vrai mot), et que celui-là est le plus méprisable de tous les hommes, qui fait bon marché de cet honneur et commerce de cette propriété. Alors, déclarons publiquement que l’adultère n’est pas risible, que c’est un crime auquel il faut appliquer les châtiments les plus sévères, au lieu, comme fait la loi, de se contenter de séparer les deux époux ou d’emprisonner quelques mois la femme. Quant à celle-ci, disons-lui en même temps qu’elle n’a pas d’excuses, et que, si, quand elle nous en donne, nous avons l’air d’y croire, c’est que nous sommes bien élevés, qu’elle est belle, que nous pensons que notre tour viendra, ou que nous sommes dans le même cas et que nous ne pouvons rien dire.

Du temps que la femme était mariée sans le savoir, par des engagements antérieurs entre les deux familles, à un individu qu’elle ne connaissait pas, laid, vieux, malpropre, libertin, et qu’il lui fallait choisir entre le mariage ou le couvent, elle avait un argument en réserve, et le galant était une revanche ; mais aujourd’hui que rien dans le monde, excepté sa propre volonté, ne peut contraindre une jeune fille à épouser un homme qui ne lui convient pas, aujourd’hui qu’au dernier moment elle peut encore dire : « Non, » et trouve la loi qui la protège