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ne le pense guère, si j’en crois ce que j’entends, ce que je sais, ce que je vois.

Cependant, prenez garde, l’homme n’est pas aussi bête que les femmes s’obstinent à le croire ; — il sent bien où on le mène, et il se fait ce raisonnement très simple :

« Voyons, j’ai dix ou cinquante ou cent mille livres de rente (prenez la proportion que vous voudrez) ; supposons que je me marie. Du moment que ma femme ne m’apporte que son corps, que je connais à moitié, grâce aux toilettes du jour, mais que tout le monde, par suite, connaît aussi bien que moi, je la trouve un peu chère. Le mariage, c’est le repos, l’intimité, la famille, la dignité, l’amour… Le repos ! Il me faudra mener ma femme aux courses, aux Italiens, aux bals, aux Eaux. L’intimité ! Elle n’aura pas de trop des heures où nous serons ensemble pour se reposer seule. La famille ! Où prendrons-nous le temps d’avoir des enfants, en admettant que la fécondité concorde avec cette vie comparable aux toupies d’Allemagne qui tournent si vite, qu’on ne voit plus le trou qui fait le bruit ? La dignité ! Où est la dignité d’une femme qui se décollète jusqu’aux reins, qui se fait habiller par un homme, qui a sa loge à l’Alcazar, et à qui ses petits amis donnent un surnom comme aux danseuses de Mabille ? L’amour ! Inutile d’en parler, puisqu’il vit de toutes ces choses-là. Ma femme sera donc à tout le monde, excepté à moi. J’aime bien mieux prendre la femme de tout le monde ; elle me reviendra meilleur marché, pour ma part ; elle ne pourra pas me déshonorer, je ne serai pas forcé de donner mon nom aux enfants qu’elle fera, et je la planterai là quand j’en aurai assez. Voilà. »

Et les jeunes gens ne veulent plus se marier. Et il y en a même, qui, par découragement ou par économie, essayent de devenir des femmes, ce qui simplifie bien les choses, et qui finissent, dit-on, par y arriver. Ils ne veulent même plus porter des noms d’homme. Sous Henri III, on les appelait des mignons ; aujourd’hui, on les appelle