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La plupart de ces femmes, faut-il le dire ? sortaient de Saint-Denis. Filles de pauvres officiers tués dans les dernières guerres de l’Empire, elles avaient reçu une instruction et une éducation au-dessus de leur fortune, et, lorsqu’il s’était agi de les marier, on n’avait pas trouvé le mari qu’il aurait fallu à cette éducation, à cette pauvreté, à cette beauté et à ces rêves. L’habitude au compte d’autrui, l’ennui, l’occasion, le cœur quelquefois, amenaient la première chute. On trouvait donc encore dans ces femmes de l’intelligence, de la noblesse, de l’esprit, du dévouement, une âme. C’étaient les dernières incarnations de Phryné, de Marion Delorme et de Ninon de Lenclos. Elles pouvaient causer, tenir une maison et donner à leur amant plus et mieux que des plaisirs grossiers.

Une de ces femmes de trente à trente-cinq ans était ce qu’un père, homme du monde, ambitionnait pour initier son fils à cette vie de l’amour que tout jeune homme, je ne sais pas pourquoi, doit, selon nos mœurs, avoir connue avant de se marier. Enfin, il y avait des fautes dans la vie de ces femmes et des fautes nombreuses ; mais, si l’amour y était sans pudeur, il n’y était pas sans décence.

Les grisettes qui, après de véritables amours tout à fait désintéressées avec des commis ou des étudiants, amours dont le quartier latin a été le dernier nid, Paul de Kock le dernier historien et Murger le dernier poète, les grisettes furent les premières qui grossirent le nombre des femmes galantes, et, en introduisant dans cette classe un élément nouveau, constituèrent les femmes entretenues. Après des excès de confiance, des désenchantements, des luttes avec la misère, des abandons, des déceptions, des tentatives de suicide, ces pauvres filles s’écriaient : « Ma foi, je suis trop bonne d’avoir tant de cœur ! » Et elles commençaient à accepter des bijoux, des robes, un cachemire carré, quelques meubles, de l’argent enfin, non plus de l’homme, mais du monsieur qu’elles aimaient. Toute cette dépense se réduisait à