Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le contraire de ce que faisait son prédécesseur. Bénissons ces puissants qui redoutent un personnage fictif, une tirade ou une facétie, qui nous constituent une si grande autorité dans l’État, à la face du monde, et qui ne savent pas encore, après tant d’expériences, que nous ne pouvons rien contre eux, comme ils ne peuvent rien contre nous, qu’une allusion n’est jamais qu’un total, et que, si tout le monde comprend et saisit l’allusion qui est dans notre drame ou notre comédie, c’est que, depuis longtemps, cette allusion est dans la pensée et sur les lèvres du public ; que ce n’est pas nous alors qui avons l’opinion pour nous, que c’est eux qui ont l’opinion contre eux ; — que ce n’est pas enfin parce que Beaumarchais a écrit le Mariage de Figaro que l’ancien système a croulé, mais bien parce que l’ancien système croulait de toutes parts, au vu et au su de tous, que Beaumarchais a écrit le Mariage de Figaro, et bâti un chef-d’œuvre sur des ruines ; que les gouvernements ne peuvent être renversés que lorsqu’ils n’ont plus de bases, et que, lorsqu’en secouant un arbre nous en faisons tomber les fruits, ce n’est pas parce que nous sommes forts, c’est parce qu’ils sont mûrs.

Criez contre la censure, mais priez Dieu qu’on vous la laisse. La plus mauvaise plaisanterie qu’on pourrait vous faire, ce serait de la supprimer. Le lendemain (voilà qui serait humiliant !), vous vous trouveriez sous la juridiction de la police. Vos théâtres seraient assimilés à tous les lieux publics, et, au premier scandale, on fermerait la boutique et on confisquerait la marchandise. Vous passeriez des mains d’un administrateur toujours bienveillant aux mains de mouchards toujours brutaux, et, le jour où le gouvernement aurait besoin d’un scandale de théâtre, il enverrait à votre pièce cinquante de ces messieurs, en bourgeois, qui feraient naître ce scandale, et vous seriez mis à pied comme un cocher en contravention. « Mais, au moins, j’aurais dit ma pensée une fois. » Non, car les directeurs, toujours sous la menace de cette mesure de sûreté, se seraient faits