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la pièce est sans danger ; et, si le gouvernement dit quelque chose, nous lui répondons : « Cela ne nous regarde pas. Prenez-vous-en à votre censure qui est là pour prévoir. »

Mais le droit imprescriptible de la pensée ! mais l’indépendance de l’esprit humain ! mais la dignité du génie forcé de se courber devant des esprits médiocres et routiniers, vous me demanderez ce que j’en fais et si je les compte pour rien ! « Comment ! depuis quinze ans, l’admirable répertoire de Victor Hugo est mis à l’index ! Lucrèce, le meilleur ouvrage de Ponsard, ne peut plus voir le jour ! Le Chevalier de Maison-Rouge, de votre père, est condamné au silence. Legouvé a été forcé de faire imprimer les Deux Reines, et Barrière Malheur aux vaincus ! Vous voyez bien que la censure arrête définitivement. Parce que toutes vos pièces ont fini par être représentées, grâce à vos protections, ou à vos concessions, vous trouvez que tout est pour le mieux ; mais les autres, qui ne sont ni aussi protégés, ni aussi conciliants que vous, les autres qui voient leur carrière, leur fortune, leur renommée, entravées par cette institution despotique, les autres, monsieur, qui ont le respect de leur œuvre, la conscience de leur mission et l’inflexibilité de leur conscience, les autres enfin… »

Assez ! qu’est-ce que ça prouve ? Que les gouvernements, élus du peuple ou élus de Dieu, n’importe où ils prennent leur appui, et tout en faisant grand tapage de leur force, de leur intimité avec la nation, de leur confiance en elle, ont peur de nous, qu’ils tremblent devant un mot, qu’ils admettent que nous pouvons les renverser ou les ébranler en une soirée, qu’ils reconnaissent enfin une puissance supérieure à la leur, celle de la pensée du premier venu, qui n’a ni droit divin, ni électeurs, ni préfets, ni liste civile, ni police, ni canon à son service. — Ça nous coûte quelques billets de mille francs que nous regagnons au centuple sous le gouvernement qui succède, car il y en a toujours un qui succède, et qui est forcé, pendant quelque temps, de faire