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chose. Alors, puisque le passé peut toujours servir, je me retirai en disant comme mon père avait dit : « J’attendrai. »

J’attendis — d’autant plus patiemment que M. de Morny m’avait conseillé de ne pas perdre tout espoir, en ajoutant : « On ne sait pas ce qui peut arriver, » et que madame Doche, qui désirait autant jouer son rôle que je désirais voir jouer ma pièce, m’avait appris en confidence que M. de Persigny agissait de son côté.

Et, en effet, M. de Persigny, — à la sollicitation de madame Doche, — s’était déclaré le coprotecteur de cette pauvre Dame aux Camélias.

Le 2 Décembre arriva. M. de Morny remplaça M. Faucher. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas très méchant ; mais voir tout à coup remplacer un ministre qui vous gêne par un ministre qui vous sert, c’est ce qu’on appelle avoir de la chance, surtout quand on n’a rien fait pour cela. Je ne crus donc pas devoir verser plus de larmes qu’il ne fallait sur le sort de M. Faucher, et je dois même dire que je fus aussi heureux de sa mésaventure qu’on pouvait l’être en ce moment. Trois jours après sa nomination, M. de Morny autorisa la pièce, sous ma seule responsabilité ; c’est donc à lui que je dois mon entrée dans la carrière, car certainement, sans lui, cette première pièce n’eût jamais été représentée. Ce n’eût été qu’un malheur personnel, mais c’est justement ces malheurs-là qu’on tient à éviter. M. de Morny n’est plus là pour recevoir la nouvelle expression de ma reconnaissance, je l’offre donc à sa mémoire au lieu de la lui offrir à lui-même. La mort de celui qui a rendu le service n’acquitte pas celui qui l’a reçu.

La pièce, après un gros succès, fut interrompue par l’été. Dans l’intervalle, M. de Morny avait quitté le ministère. Lorsqu’au mois d’octobre suivant, le théâtre voulut la reprendre, elle fut derechef interdite par le nouveau ministre, qui était, — vous allez rire, — qui était son ancien protecteur M. de Persigny. M. de Morny reprit alors le chemin du ministère comme du temps de M. Léon