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regardait d’un air tout triste quand je toussais ; c’est le seul être que j’aie aimé.

Quand il est mort, j’ai plus pleuré qu’à la mort de ma mère. Il est vrai qu’elle m’avait battue pendant douze ans de sa vie. Eh bien, je t’ai aimé tout de suite autant que mon chien. Si les hommes savaient ce qu’on peut avoir avec une larme, ils seraient plus aimés et nous serions moins ruineuses.

Ta lettre t’a démenti, elle m’a révélé que tu n’avais pas toutes les intelligences du cœur, elle t’a fait plus de tort dans l’amour que j’avais pour toi que tout ce que tu aurais pu me faire. C’était de la jalousie, il est vrai, mais de la jalousie ironique et impertinente. J’étais déjà triste, quand j’ai reçu cette lettre, je comptais te voir à midi, déjeuner avec toi, effacer enfin par ta vue une incessante pensée que j’avais, et qu’avant de te connaître j’admettais sans effort.

Puis, continua Marguerite, tu étais la seule personne devant laquelle j’avais pu comprendre tout de suite que je pouvais penser et parler librement. Tous ceux qui entourent les filles comme moi ont intérêt à scruter leurs moindres paroles, à tirer une conséquence de leurs plus insignifiantes actions. Nous n’avons naturellement pas d’amis. Nous avons des amants égoïstes