Page:Dumas fils - La Dame aux camélias, 1852.djvu/196

Cette page n’a pas encore été corrigée

y coudoie une femme, il la regarde, il se retourne, il passe.

Cette femme, il ne la connaît pas, elle a des plaisirs, des chagrins, des amours où il n’a aucune part. Il n’existe pas pour elle, et peut-être, s’il lui parlait, se moquerait-elle de lui comme Marguerite avait fait de moi. Des semaines, des mois, des années s’écoulent, et tout à coup, quand ils ont suivi chacun leur destinée dans un ordre différent, la logique du hasard les ramène en face l’un de l’autre. Cette femme devient la maîtresse de cet homme et l’aime. Comment ? pourquoi ? leurs deux existences n’en font plus qu’une ; à peine l’intimité existe-t-elle, qu’elle leur semble avoir existé toujours, et tout ce qui a précédé s’efface de la mémoire des deux amants.

C’est curieux, avouons-le.

Quant à moi, je ne me rappelais plus comment j’avais vécu avant la veille. Tout mon être s’exaltait en joie au souvenir des mots échangés pendant cette première nuit.

Ou Marguerite était habile à tromper, ou elle avait pour moi une de ces passions subites qui se révèlent dès le premier baiser, et qui meurent quelquefois, du reste, comme elles sont nées.

Plus j’y réfléchissais, plus je me disais que Marguerite n’avait aucune raison de feindre un amour