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individus, et qui croient tout racheter en prêtant un jour vingt francs à quelque pauvre diable qui meurt de faim, sans exiger d’intérêt et sans lui demander de reçu.

Puis, quand Dieu permet l’amour à une courtisane, cet amour, qui semble d’abord un pardon, devient presque toujours pour elle un châtiment. Il n’y a pas d’absolution sans pénitence. Quand une créature, qui a tout son passé à se reprocher, se sent tout à coup prise d’un amour profond, sincère, irrésistible, dont elle ne se fût jamais crue capable ; quand elle a avoué cet amour, comme l’homme aimé ainsi la domine ! Comme il se sent fort avec ce droit cruel de lui dire : Vous ne faites pas plus pour de l’amour que vous n’avez fait pour de l’argent.

Alors elles ne savent quelles preuves donner. Un enfant, raconte la fable, après s’être longtemps amusé dans un champ à crier : Au secours ! pour déranger des travailleurs, fut dévoré un beau jour par un ours, sans que ceux qu’il avait trompés si souvent crussent cette fois aux cris réels qu’il poussait. Il en est de même de ces malheureuses filles, quand elles aiment sérieusement. Elles ont menti tant de fois qu’on ne veut plus les croire, et elles sont, au milieu de leurs remords, dévorées par leur amour.