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quand je suis partie ; souvent je rencontre chez elle, le soir, un certain comte de N... qui croit avancer ses affaires en faisant ses visites à onze heures, en lui envoyant des bijoux tant qu’elle en veut ; mais elle ne peut pas le voir en peinture. Elle a tort, c’est un garçon très riche. J’ai beau lui dire de temps en temps : Ma chère enfant, c’est l’homme qu’il vous faut ! Elle qui m’écoute assez ordinairement, elle me tourne le dos et me répond qu’il est trop bête. Qu’il soit bête, j’en conviens ; mais ce serait pour elle une position, tandis que ce vieux duc peut mourir d’un jour à l’autre. Les vieillards sont égoïstes ; sa famille lui reproche sans cesse son affection pour Marguerite : voilà deux raisons pour qu’il ne lui laisse rien. Je lui fais de la morale, à laquelle elle répond qu’il sera toujours temps de prendre le comte à la mort du duc.

— Cela n’est pas toujours drôle, continua Prudence, de vivre comme elle vit. Je sais bien, moi, que cela ne m’irait pas et que j’enverrais bien vite promener le bonhomme. Il est insipide, ce vieux ; il l’appelle sa fille, il a soin d’elle comme d’un enfant, il est toujours sur son dos. Je suis sûre qu’à cette heure un de ses domestiques rôde dans la rue pour voir qui sort, et surtout qui entre.