piègne, ils ont été amenés à Rueil, comme nous en avons acquis la certitude à Louvres ; conduits à Rueil, ils ont été interrogés par le cardinal, qui, après cet interrogatoire, les a gardés près de lui ou les a envoyés à Saint-Germain. Quant à la Bastille ils n’y sont point, puisque la Bastille est aux frondeurs et que le fils de Broussel y commande. Ils ne sont pas morts, car la mort de d’Artagnan serait bruyante ; quant à Porthos, je le crois éternel comme Dieu, quoiqu’il soit moins patient. Ne désespérons pas, attendons et restons à Rueil, car ma conviction est qu’ils sont à Rueil. Mais qu’avez-vous donc ? vous pâlissez !
— J’ai, dit Athos d’une voix presque tremblante, que je me souviens qu’au château de Rueil M. de Richelieu avait fait fabriquer une affreuse oubliette…
— Oh ! soyez tranquille, dit Aramis ; M. de Richelieu était un gentilhomme, notre égal à tous par la naissance, notre supérieur par la position. Il pouvait, comme un roi, toucher les plus grands de nous à la tête et, en les touchant, faire vaciller cette tête sur les épaules. Mais M. de Mazarin est un cuistre qui peut tout au plus nous prendre au collet comme un archer. Rassurez-vous donc, ami, je persiste à dire que d’Artagnan et Porthos sont à Rueil, vivants et bien vivants.
— N’importe, dit Athos, il nous faudrait obtenir du coadjuteur d’être des conférences, et ainsi nous entrerions à Rueil.
— Avec tous ces affreux robins ! y pensez-vous, mon cher ? et croyez-vous qu’il y sera le moins du monde discuté de la liberté et de la prison de d’Artagnan et de Porthos ? Non, je suis d’avis que nous cherchions quelque autre moyen.
— Eh bien, reprit Athos, j’en reviens à ma première pensée ; je ne connais point de meilleur moyen que d’agir franchement et loyalement. J’irai trouver, non pas Mazarin, mais la reine, et je lui dirai : Madame, rendez-nous vos deux serviteurs et nos deux amis.
Aramis secoua la tête.
— C’est une dernière ressource dont vous serez toujours libre d’user, Athos ; mais, croyez-moi, n’en usez qu’à l’extrémité : il sera toujours temps d’en venir là. En attendant, continuons nos recherches.
Ils continuèrent donc de chercher, et prirent tant d’informations, firent, sous mille prétextes plus ingénieux les uns que les autres, causer tant de personnes, qu’ils finirent par trouver un chevau-léger qui leur avoua avoir fait partie de l’escorte qui avait amené d’Artagnan et Porthos de Compiègne à Rueil. Sans les chevau-légers, on n’aurait pas même su qu’ils y étaient entrés.
Athos en revenait éternellement à son idée de voir la reine.
— Pour voir la reine, disait Aramis, il faut d’abord voir le cardinal, et à peine aurons-nous vu le cardinal, rappelez-vous ce que je vous dis, Athos, que nous serons réunis à nos amis, mais point de la façon que nous l’entendons. Or, cette façon d’être réunis à eux me sourit assez peu, je l’avoue. Agissons en liberté pour agir bien et vite.
— Je verrai la reine, dit Athos.
— Eh bien, mon ami, si vous êtes décidé à faire cette folie, prévenez-moi, je vous prie, un jour à l’avance.
— Pourquoi cela ?
— Parce que je profiterai de la circonstance pour aller faire une visite à Paris.
— À qui ?
— Dame ! que sais-je ! peut-être bien à Mme de Longueville. Elle est toute-puissante là-bas ; elle m’aidera. Seulement, faites-moi dire par quelqu’un si vous êtes arrêté ; alors je me retournerai de mon mieux.
— Pourquoi ne risquez-vous point l’arrestation avec moi, Aramis ? dit Athos.