Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/533

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et flamboyant comme l’éclair. Mordaunt para un contre de quarte si serré qu’il ne fût pas sorti de l’anneau d’une jeune fille.

— Je commence à croire que nous allons nous amuser, dit d’Artagnan.

— Oui, murmura Aramis, mais en vous amusant, jouez serré.

— Sangdieu ! mon ami, faites attention, dit Porthos.

Mordaunt sourit à son tour.

— Ah ! monsieur, dit d’Artagnan, que vous avez un vilain sourire ! C’est le diable qui vous a appris à sourire ainsi, n’est-ce pas ?

Mordaunt ne répondit qu’en essayant de lier l’épée de d’Artagnan avec une force que le Gascon ne s’attendait pas à trouver dans ce corps débile en apparence ; mais, grâce à une parade non moins habile que celle que venait d’exécuter son adversaire, il rencontra à temps le fer de Mordaunt, qui glissa le long du sien sans rencontrer sa poitrine.

Mordaunt fit rapidement un pas en arrière.

— Ah ! vous rompez, dit d’Artagnan, vous tournez ? comme il vous plaira ; j’y gagne même quelque chose : je ne vois plus votre méchant sourire. Me voilà tout à fait dans l’ombre ; tant mieux. Vous n’avez pas idée comme vous avez le regard faux, monsieur, surtout lorsque vous avez peur. Regardez un peu mes yeux, et vous verrez une chose que votre miroir ne vous montrera jamais, c’est-à-dire un regard loyal et franc.

Mordaunt, à ce flux de paroles, qui n’était peut-être pas de très bon goût, mais qui était habituel à d’Artagnan, lequel avait pour principe de préoccuper son adversaire, ne répondit pas un seul mot ; mais il rompait, et, tournant toujours, il parvint ainsi à changer de place avec d’Artagnan. Il souriait de plus en plus. Ce sourire commença d’inquiéter le gascon.

— Allons, allons, il faut en finir, dit d’Artagnan ; le drôle a des jarrets de fer. En avant les grands coups !

Et à son tour il pressa Mordaunt, qui continua de rompre, mais évidemment par tactique, sans faire une faute dont d’Artagnan pût profiter, sans que son épée s’écartât un instant de la ligne. Cependant, comme le combat avait lieu dans une chambre et que l’espace manquait aux combattants, bientôt le pied de Mordaunt toucha la muraille, à laquelle il appuya sa main gauche.

— Ah ! fit d’Artagnan, pour cette fois vous ne romprez plus, mon bel ami ! Messieurs, continua-t-il en serrant les lèvres et en fronçant le sourcil, avez-vous jamais vu un scorpion cloué à un mur ? Non ? Eh bien ! vous allez le voir.

Et en une seconde d’Artagnan porta trois coups terribles à Mordaunt. Tous trois le touchèrent, mais en l’effleurant. D’Artagnan ne comprenait rien à cette puissance. Les trois amis regardaient haletants, la sueur au front.

Enfin d’Artagnan, engagé de trop près, fit à son tour un pas en arrière pour préparer un quatrième coup, ou plutôt pour l’exécuter ; car, pour d’Artagnan, les armes comme les échecs étaient une vaste combinaison dont tous les détails s’enchaînaient les uns aux autres. Mais au moment où, plus acharné que jamais, il revenait sur son adversaire, au moment où, après une feinte rapide et serrée, il attaquait prompt comme l’éclair, la muraille sembla se fendre : Mordaunt disparut par l’ouverture béante, et l’épée de d’Artagnan, prise entre les deux panneaux, se brisa comme si elle eût été de verre.