profonde affliction se peignait sur son visage.
— Ah ! c’est mal, disait-il ; Athos nous insulte ; il veut mourir seul, c’est mal.
Mousqueton voyant ces deux grands désespoirs, fondait en larmes dans son coin.
— Allons, dit d’Artagnan, tout cela ne mène à rien. Partons, allons embrasser Raoul comme nous avons dit, et peut-être aura-t-il reçu des nouvelles d’Athos.
— Tiens, c’est une idée, dit Porthos ; en vérité, mon cher d’Artagnan, je ne sais pas comment vous faites, mais vous êtes plein d’idées. Allons embrasser Raoul.
— Gare à celui qui regarderait mon maître de travers en ce moment, dit Mousqueton, je ne donnerais pas un denier de sa peau.
On monta à cheval et l’on partit. En arrivant à la rue Saint-Denis, les amis trouvèrent un grand concours de peuple. C’était M. de Beaufort qui venait d’arriver du Vendômois et que le coadjuteur montrait aux Parisiens émerveillés et joyeux. Avec M. de Beaufort, ils se regardaient désormais comme invincibles.
Les deux amis prirent par une petite rue pour ne pas rencontrer le prince et gagnèrent la barrière Saint-Denis.
— Est-il vrai, dirent les gardes aux deux cavaliers, que M. de Beaufort est arrivé dans Paris ?
— Rien de plus vrai, dit d’Artagnan et la preuve, c’est qu’il nous envoie au-devant de M. de Vendôme, son père, qui va arriver à son tour.
— Vive M. de Beaufort ! crièrent les gardes, et ils s’écartèrent respectueusement pour laisser passer les envoyés du grand prince.
Une fois hors barrière, la route fut dévorée par ces gens qui ne connaissaient ni fatigue ni découragement ; leurs chevaux volaient, et eux ne cessaient de parler d’Athos et d’Aramis.
Mousqueton souffrait tous les tourments imaginables, mais l’excellent serviteur se consolait en pensant que ses deux maîtres éprouvaient bien d’autres souffrances. Car il était arrivé à regarder d’Artagnan comme son second maître et lui obéissait même plus promptement et plus correctement qu’à Porthos.
Le camp était entre Saint-Omer et Lambe ; les deux amis firent un crochet jusqu’au camp et apprirent en détail à l’armée la nouvelle de la fuite du roi et de la reine, qui était arrivée sourdement jusque-là. Ils trouvèrent Raoul près de sa tente, couché sur une botte de foin dont son cheval tirait quelques bribes à la dérobée. Le jeune homme avait les yeux rouges et semblait abattu. Le maréchal de Grammont et le comte de Guiche étaient revenus à Paris, et le pauvre enfant se trouvait tout isolé.
Au bout d’un instant Raoul leva les yeux et vit les deux cavaliers qui le regardaient ; il les reconnut et courut à eux les bras ouverts.
— Oh ! c’est vous, chers amis, s’écria-t-il, me venez-vous chercher ? m’emmenez-vous avec vous ? m’apportez-vous des nouvelles de mon tuteur ?
— N’en avez-vous donc point reçu ? demanda d’Artagnan au jeune homme.
— Hélas ! non, monsieur, et je ne sais en vérité ce qu’il est devenu. De sorte, oh ! de sorte que je suis inquiet à en pleurer.
Et effectivement deux grosses larmes roulaient sur les joues brunies du jeune homme. Porthos détourna la tête pour ne pas laisser voir sur sa bonne grosse figure ce qui se passait dans son cœur.