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disposé à vous mêler d’une petite guerre civile dans le cas où nous en aurions une, et à mettre à la disposition de ce chef, si nous en trouvions un, votre pouvoir personnel et l’influence que vous avez acquise sur vos camarades. — Oui, monsieur, pourvu que cette guerre fût approuvée par l’Église, et par conséquent pût me conduire au but que je veux atteindre, c’est-à-dire à la rémission de mes péchés. — Cette guerre sera non-seulement approuvée, mais encore dirigée par elle. Quant à la rémission de vos péchés, nous avons M. l’archevêque de Paris qui tient de grands pouvoirs de la cour de Rome, et même M. le coadjuteur qui possède des indulgences particulières ; nous vous recommanderons à lui. — Songez, Maillard, dit le curé, que c’est moi qui vous ai recommandé à monsieur, qui est un seigneur tout-puissant, et qui en quelque sorte a répondu de vous. — Je sais, monsieur le curé, dit le mendiant, que vous avez toujours été excellent pour moi ; aussi, de mon côté, suis-je tout disposé à vous être agréable. — Et croyez-vous votre pouvoir aussi grand sur vos confrères que me le disait tout à l’heure M. le curé ? — Je crois qu’ils ont pour moi une certaine estime, dit le mendiant avec orgueil, et que non seulement ils feront tout ce que je leur ordonnerai, mais encore que partout où j’irai ils me suivront. — Et pouvez-vous me répondre de cinquante hommes bien résolus, de bonnes âmes oisives et bien animées, de braillards capables de faire tomber les murs du Palais-Royal en criant : À bas Mazarin ! comme tombaient autrefois ceux de Jéricho ? — Je crois, dit le mendiant, que je puis être chargé de choses plus difficiles et plus importantes que cela. — Ah ! ah ! dit Gondy, vous chargeriez-vous donc dans une nuit de faire une dizaine de barricades ? — Je me chargerais d’en faire cinquante, et, le jour venu, de les défendre. — Pardieu, dit de Gondy, vous parlez avec une assurance qui me fait plaisir, et puisque monsieur le curé me répond de vous… — J’en réponds, dit le curé. — Voici un sac contenant cinq cent cinquante pistoles en or ; faites toutes vos dispositions, et dites-moi où je puis vous retrouver ce soir à dix heures. — Il faudrait que ce fût dans un endroit élevé, et d’où un signal fait pût être vu dans tous les quartiers de Paris. — Voulez-vous que je vous donne un mot pour le vicaire de Saint-Jacques-la-Boucherie ? Il vous introduira dans une des chambres de la tour, dit le curé. — À merveille ! dit le mendiant. — Donc, dit le coadjuteur, ce soir, à dix heures, et si je suis content de vous, il y aura à votre disposition un autre sac de cinq cents pistoles.

Les yeux du mendiant brillèrent d’avidité, mais il réprima cette émotion.

— À ce soir, monsieur, répondit-il, tout sera prêt.

Et il reporta sa chaise dans l’église, rangea près de sa chaise son seau et son goupillon, alla prendre de l’eau bénite au bénitier, comme s’il n’avait pas confiance dans la sienne, et sortit de l’église.