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D’ailleurs, ce nom de d’Artagnan ne lui était pas tout à fait inconnu, et, quoique lui, Mazarin, ne fût venu en France que vers 1634 ou 1635, c’est-à-dire sept ou huit ans après les événements que nous avons racontés dans une précédente histoire, il semblait au cardinal qu’il avait entendu prononcer ce nom comme celui d’un homme qui, dans une circonstance qui n’était plus présente à son esprit, s’était fait remarquer comme un modèle de courage, d’adresse et de dévoûment.

Cette idée s’était tellement emparée de son esprit, qu’il résolut de l’éclaircir sans retard ; mais ces renseignements qu’il désirait sur d’Artagnan, ce n’était point à d’Artagnan lui-même qu’il les fallait demander. Aux quelques mots qu’avait prononcés le lieutenant de mousquetaires, le cardinal avait reconnu l’origine gasconne : or Italiens et Gascons se connaissent trop bien et se ressemblent trop pour s’en rapporter les uns aux autres de ce qu’ils peuvent dire d’eux-mêmes. Aussi, en arrivant aux murs dont le jardin du Palais-Royal était enclos, le cardinal frappa-t-il à une petite porte située à peu près s’élève aujourd’hui le café de Foy, et, après avoir remercié d’Artagnan et l’avoir invité à l’attendre dans la cour du Palais-Royal, fit-il signe à Guitaut de le suivre. Tous deux descendirent de cheval, remirent la bride de leur monture au laquais qui avait ouvert la porte et disparurent dans le jardin.

— Mon cher Guitaut, dit le cardinal en s’appuyant sur le bras du vieux capitaine des gardes, vous me disiez tout à l’heure qu’il y avait tantôt vingt ans que vous étiez au service de la reine. — Oui, c’est la vérité, répondit Guitaut. — Or, mon cher Guitaut, continua le cardinal, j’ai remarqué qu’outre votre courage, qui est hors de contestation, et votre fidélité, qui est à toute épreuve, vous aviez une admirable mémoire. — Vous avez remarqué cela, monseigneur ? dit le capitaine des gardes ; diable ! tant pis pour moi. — Comment cela ? — Sans doute, une des premières qualités du courtisan est de savoir oublier. — Mais vous n’êtes pas un courtisan, vous, Guitaut, vous êtes un brave soldat, un de ces capitaines comme il en reste encore quelques-uns du temps du roi Henri IV, mais comme malheureusement il n’en restera plus bientôt. — Peste ! monseigneur, m’avez-vous fait venir avec vous pour me tirer mon horoscope ? — Non, dit Mazarin en riant ; je vous ai fait venir pour vous demander si vous aviez remarqué notre lieutenant de mousquetaires. — M. d’Artagnan ? — Oui. — Je n’ai pas eu besoin de le remarquer, monseigneur, il y a longtemps que je le connais. — Quel homme est-ce alors ? — Eh mais, dit Guitaut, surpris de la demande, c’est un Gascon. — Oui, je sais cela, mais je voulais vous demander si c’était un homme en qui l’on pût avoir confiance. — M. de Tréville le tient en grande estime, et M. de Tréville, vous le savez, est des grands amis de la reine. — Je désirais savoir si c’était un homme qui eût fait ses preuves. — Si c’est comme brave soldat que vous l’entendez, je crois pouvoir vous répondre que oui. Au siége de La Rochelle, au pas de Suze, à Perpignan, j’ai entendu dire qu’il avait fait plus que son devoir. — Mais, vous le savez, Guitaut, nous autres pauvres ministres, nous avons souvent besoin encore d’autres hommes que d’hommes braves ; nous avons besoin de gens adroits. M. d’Artagnan ne s’est-il pas trouvé mêlé du temps du cardinal dans quelque intrigue dont le bruit public voudrait qu’il se fût tiré fort habilement ? — Monseigneur, sous ce rapport, dit Guitaut,