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dant sa vie poursuivirent ce malheureux après sa mort. Son visage fut défiguré avec du vitriol, afin qu’en cas d’exhumation ou ne pût le reconnaître ; puis on brûle tous ses meubles, on dépava sa chambre, on effondra les plafonds, on fouilla tous les coins et recoins, on regratta et blanchit les murailles ; enfin, on leva les uns après les autres tous les carreaux, de peur qu’il eût caché quelque billet en quelque marque qui pût faire connaître son nom.

Du 19 novembre 1703 au 14 juillet 1789, tout continua de rester dans l’obscurité, tant les murs de la Bastille étaient épais, tant ses portes de fer étaient bien fermées. Puis, un jour, il arriva que ces murs furent renversés à coups de canon, ces portes enfoncées à coups de hache, et que les cris de liberté retentirent jusqu’au plus profond de ces cachots où tout semblait mort, jusqu’à l’écho qui dut hésiter à les répéter.

Les premiers soins du peuple vainqueur furent pour les vivans. Huit prisonniers seulement furent retrouvés dans la sombre et sinistre forteresse. Le bruit courut alors que, quelques jours auparavant, plus de soixante autres avaient été transportés dans les bastilles de l’État.

Puis, après la préoccupation envers les vivans, vint la curiosité pour les morts. Parmi les grandes ombres qui apparaissaient au milieu des ruines de la Bastille, se dressait, plus gigantesque et plus sombre que les autres, le fantôme voilé du masque de fer. Aussi courut-on à la cour de la Bertaudière qu’on savait avoir été habitée cinq ans par ce malheureux ; mais on eut beau chercher sur les murailles, sur les vitres, sur les carreaux, on eut beau déchiffrer tout ce que l’oisiveté, la résignation ou le désespoir avaient pu tracer de sentences, de prières ou de malédictions sur ces mystérieuses archives que les condamnés se léguaient en mourant les uns aux autres, toute recherche fut inutile, et le secret du masque de fer continua de demeurer entre lui et ses bourreaux.

Tout à coup cependant de grands cris retentirent dans la cour. L’un des vainqueurs avait découvert le grand registre de la Bastille sur lequel était mentionnée la date de l’entrée et de la sortie des prisonniers, et qui avait été inventé et