Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vançait vers notre ville avec un drapeau tricolore. Alors il fit ses dispositions, ce bon général : et lorsque la petite troupe arriva, on la laissa entrer, puis on ferma la porte derrière elle. De sorte que, grâce à moi, ils furent tous pris, monsieur, à l’exception de Casabianca, un farceur de Corse qui les commandait, qui sauta du haut en bas des remparts, et qui alla le rejoindre, ce grand empereur.

— Et que fit-on des prisonniers ? demandai-je.

— Monsieur, on voulait les mettre dans la maison d’arrêt de la ville, mais elle était pleine, et je dis, moi : Mettez-les dans l’église, pardieu ! Et on les mit dans l’église.

— Et combien de temps y restèrent-ils ? demanda Jadin.

— Oh ! ils y restèrent depuis le 1er de mars jusqu’au 22, que l’on apprit que le grand Napoléon avait fait son entrée dans la capitale.

— Pauvres gens ! dit le jeune homme.

— Comment, pauvres gens ! reprit le capitaine. Comment, pauvres gens ! voilà pardieu des gaillards bien à plaindre ; ils avaient de bon pain, de bon vin, de bon riz et de bonnes fèves ; je vous demande un peu qu’est ce qu’il faut de plus pour faire le bonheur !

— Mais, dis-je à mon tour, j’espère, capitaine, qu’au retour des Bourbons, vous avez eu au moins la croix d’honneur ?

— La croix d’honneur ! ah ben oui ! je l’ai demandée, la croix d’honneur ! Savez-vous ce qu’il m’a envoyé, ce vieux calotin de Louis XVIII ? Il m’a envoyé sa fleur de lis. Oh ! que je dis en la recevant, tu pouvais bien la garder, ta punaise !

— Peste ! repris-je, capitaine, comme vous les traitez, ces pauvres fleurs de lis ! Faites donc attention que saint Louis, François Ier et Henri IV étaient moins difficiles que vous, et que ces fleurs de lis, que vous méprisez, étaient leurs armes.

— Les armes de Henri IV ! mais non, Henri IV, il était protestant, pardieu ! C’est parce qu’il était protestant que les jésuites l’ont tué ; car ce sont les jésuites, monsieur, qui l’ont tué, ce grand roi. Vous avez lu la Henriade, monsieur ?