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— Moi, dit Coquelin, moi vous refuser quelque chose de ce qu’il m’est possible de faire ? ah ! vous ne me connaissez pas, citoyenne. D’ailleurs, est-ce que vous ne m’avez pas acheté une maison en carton ? est-ce que vous ne venez pas tous les jours dans ma boutique où il vient si peu de monde ? Est-ce que vous ne parlez pas, avec votre bonne petite voix si douce, à un pauvre homme à qui personne ne parle ! Et cependant rendez-moi justice, est-ce que je n’ai pas la boutique la mieux fournie de Marseille ? Est-ce qu’il y en a un pour manier les oiseaux comme moi ? Oh ! allez, j’ai de l’a dresse, j’ai du goût, moi. — Tenez, voyez ce petit pantin, c’est cela qui est drôle ; je n’ai qu’à tirer la ficelle, et les bras, les jambes, la tête, tout cela s’agite, tout cela remue ; voyez ! voyez !

La jeune femme, par complaisance, regarda, à travers les larmes qui s’étaient répandues dans ses yeux, le grotesque pantin, dont Coquelin, la figure ébahis avec une satisfaction orgueilleuse d’artiste, faisait bondir les jambes et les bras. De son côté, la petite Louise, passant de la douleur à la joie, comme une enfant qu’elle était, sautait sur la pointe de ses pieds en riant comme une folle.

La scène avait pris un caractère touchant et presque patriarcal. Renversé sur sa chaise, Coquelin tenait d’une main, à la hauteur de son nez, le petit bonhomme de carton suspendu par la tête, et de l’autre main il communiquait, au moyen de la ficelle, un mouvement rapide aux bras et aux jambes de ce pantin. Plus le bonhomme se démenait, plus les rires de Louise devenaient joyeux. Coquelin savourait son succès de mécanicien ; sa figure s’épanouissait. Et il disait, tout en tirant la ficelle et en accordant sa voix avec les gestes du pantin :

— Vous dites donc, citoyenne, que votre mari est accusé ? Eh bien, je verrai le citoyen Brutus ; je lui parlerai… Il est dur, le citoyen Brutus ! Mais, qui sait ?… En tout cas, je ferai tout ce que je pourrai pour votre mari ; soyez tranquille, citoyenne… Malheureusement, je ne peux pas grand chose… mais tout ce que je peux, je le ferai… tout !

— Oh ! mon bon monsieur Coquelin !

— Oh ! j’ai de la mémoire, moi, citoyenne. J’en ai… je