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violent orage éclata sur Florence. Depuis longtemps cet orage s’amassait sur la ville, sans que personne eût remarqué ce qui se passait au ciel, tant chacun avait les yeux fixés sur la terre. Il tomba de tels torrens de pluie, que le feu qu’on venait d’allumer fut éteint à l’instant même, sans qu’il fût possible de le ranimer, quoiqu’on y jetât toutes les torches qu’on pût se procurer, et quoiqu’on apportât du feu et des lisons enflammés de toutes les maisons qui donnaient sur la place.

Dès lors la foule se crut jouée ; et comme les uns criaient que l’empêchement était venu des Franciscains, tandis que les autres affirmaient qu’il avait été suscité par les disciples de Savonarole, le peuple fit indistinctement retomber la responsabilité de son désappointement sur les deux champions, et les prit tous deux en mépris. Aux cris qu’elle entendit pousser, aux démonstrations hostiles qu’elle vit faire, la seigneurie donna ordre à la foule de se retirer ; mais, malgré la pluie qui continuait de tomber par torrens, personne n’obéit. Force fut donc à la fin aux deux adversaires de traverser la foule. C’était là qu’on les attendait. Frère Rondinelli fut reconduit à grands coups de pierre, au milieu des huées, et rentra à son couvent tout meurtri et avec sa robe en lambeaux. Quant à Savonarole, il sortit comme il était entré, le Saint-Sacrement à la main ; et grâce à cette sainte sauvegarde, il parvint, sans accident, lui et les siens, jusqu’à la place Saint-Marc, où était situé son couvent.

Mais de ce jour le prestige fut détruit ; Savonarole ne fut plus, même pour le peuple, un moine fanatique, il fut un faux prophète. Frère François de Pouille, cet envoyé d’Alexandre, duquel était partie la première proposition, et qui était resté en arrière dès qu’il avait vu les Franciscains et les Dominicains s’engager, profita habilement de cette déception pour animer contre Savonarole tout ce qu’il avait d’ennemis dans Florence. Ces ennemis étaient d’abord tous ceux qui maintenaient une excommunication comme valable, quelle que fût la moralité du pape qui l’aurait lancée. C’étaient ensuite tous les partisans des Médicis, qui croyaient que l’influence seule de Savonarole s’opposait à leur retour,