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rant que quelqu’un était dans la même chambre qu’elle, la jeune fille tira les rideaux, se coucha sur un divan et s’endormit.

Bientôt Cosme entra à son tour et aperçut sa fille. Cosme regarda un instant Isabelle endormie avec des yeux ardens de désir, puis il alla fermer toutes les portes en dedans ; bientôt Isabelle jeta un cri, mais à ce cri, Vasari ne vit plus rien, car à son tour il ferma les yeux et fit semblant de dormir. En rouvrant les rideaux, Cosme se rappela que cette chambre devait être celle où peignait Georges Vasari. Il leva les yeux au plafond, et vit l’échafaudage. À l’instant même l’idée lui vint qu’il avait eu un témoin de son crime, et cette idée, dans un cœur comme celui de Cosme, fut suivie immédiatement du désir de s’en débarrasser.

Cosme monta doucement à l’échelle ; arrivé à la plate-forme, il trouva Vasari, qui, le nez tourné au mur, dormait dans un coin de son échafaudage. Il s’approcha de lui, tira son poignard, le lui approcha lentement de la poitrine pour s’assurer s’il dormait réellement, ou s’il feignait de dormir. Vasari ne fit pas un mouvement, sa respiration resta calme et égale, et Cosme, convaincu que son peintre favori n’avait rien vu ni entendu, remit son poignard au fourreau et descendit de l’échafaudage.

À l’heure où il avait l’habitude de sortir, Vasari sortit, et il revint le lendemain à l’heure à laquelle il avait l’habitude de venir. Ce sang-froid le sauva ; s’il s’était enfui il était perdu : car, partout où il eût fui, le poignard ou le poison des Médicis eût été le chercher.

Cela se passait vers l’année 1557.

L’année d’ensuite, comme Isabelle avait seize ans, il fallut songer à la marier. Parmi les prétendans à sa main, Cosme fit choix de Paul Giordano Orsini, duc de Bracciano ; mais une des conditions du mariage fut, dit-on, qu’Isabelle continuerait à demeurer en Toscane au moins six mois de l’année.

Ce mariage, contre toute attente, fut visiblement froid et contraint ; on disait, pour expliquer cette étrange indifférence d’un jeune mari envers une femme jeune et belle, que les bruits de l’amour de Cosme pour sa fille étaient venus jus-