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avait séduit par l’or ou effrayé par les menaces les domestiques de la jeune princesse ; qu’il avait pénétré une nuit dans sa chambre et n’en était sorti que le lendemain matin ; puis, les nuits suivantes, il était revenu, et le commerce adultère avait fini par faire un tel bruit, qu’il avait marié sa jeune et belle maîtresse à son fils Pierre. Ce qu’il y avait de sûr au moins dans tout cela, c’est qu’au moment où l’on s’y attendait le moins, et sans que don Pierre eût même été consulté, l’union avait été décidée et le mariage avait eu lieu.

Mais soit l’effet des bruits étranges qui avaient couru sur le compte d’Éléonore, soit que le plaisir goûté par don Pierre dans la compagnie des beaux jeunes gens l’emportât sur les sentimens d’amour que pouvait lui inspirer une belle femme, les nouveaux époux semblaient tristes et vivaient à peu près séparés. Éléonore de Tolède était jeune, elle était belle, elle était de ce sang espagnol qui brûle jusqu’au pied des autels les veines dans lesquels il coule, si bien que, délaissée par son mari, elle se prit d’amour pour un jeune homme nommé Alexandre, lequel était fils du capitaine florentin François Gaci. Mais ce premier amour n’eut pas d’autre suite. Le jeune homme, prévenu que sa passion était connue du mari de celle qu’il aimait, et pouvait causer à la belle Éléonore de grandes douleurs, se retira dans un couvent, et étouffa, ou du moins enferma son amour sous un cilice. Tandis qu’il priait pour Éléonore, Éléonore l’oublia. Celui qui le lui fit oublier en lui succédant, était un jeune chevalier de Saint-Étienne qui, plus indiscret que le pauvre Alexandre, ne laissa bientôt plus ignorer à toute la ville qu’il était aimé. Aussi, peut-être plus à cause de cet amour qu’à cause de la mort de François Ginori qu’il venait de tuer en duel entre le palais Strozzi et la porte Rouge, avait-il été exilé à l’île d’Elbe. Mais l’exil n’avait point tué l’amour, et ne pouvant plus se voir, les deux jeunes gens s’écrivaient. Une lettre tomba entre les mains du jeune grand-duc François, que de son vivant Cosme avait associé à sa puissance. L’amant fut ramené secrètement de l’île d’Elbe à la prison du bargello. La nuit même de son arrivée, ou fit entrer dans sa prison un confesseur et un bourreau ; puis, lorsque le confesseur eut fini, le bourreau étrangla le jeune homme.