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quatre millions en argent et huit ou dix en papier, et lui, par le change, ayant plus que quintuplé cette somme. Il avait dans les différentes places de l’Europe, tant en son propre nom qu’au nom de ses agens, seize maisons de banque en activité. À Florence, tout le monde lui devait, car sa bourse était ouverte à tout le monde, et cette générosité était si bien aux yeux de quelques-uns, l’effet d’un calcul, qu’on assurait qu’il avait l’habitude de conseiller la guerre, pour forcer les citoyens ruinés de recourir à lui. Aussi avait-il fait, pour amener la guerre de Lucques, de tels efforts, que Varchi dit de lui, qu’avec ses vertus visibles et ses vices secrets, il arriva à se faire chef et presque prince d’une république déjà plus esclave que libre.

Mais la lutte fut longue ; Cosme, chassé de Florence, en sortit en proscrit, et y rentra en triomphateur.

Cosme adopta dès lors cette politique que nous avons vu Laurent, son petit-fils, suivre plus tard ; il se remit à son commerce, à ses agios et a ses monumens, laissant à ses partisans, alors au pouvoir, le soin de sa vengeance. Les proscriptions furent si longues, les supplices furent si nombreux, qu’un de ses plus intimes et de ses plus fidèles crut devoir aller le trouver pour lui dire qu’il dépeuplait la ville. Cosme leva les yeux d’un calcul de change qu’il faisait, posa la main sur l’épaule du messager de clémence, le regarda fixement, et avec un imperceptible sourire. — J’aime mieux la dépeupler que de la perdre, lui dit-il. Et l’inflexible arithméticien se remit à ses chiffres.

Ce fut ainsi qu’il vieillit, riche, puissant, honoré, mais frappé dans l’intérieur de sa famille par la main de Dieu. Il avait eu de sa femme plusieurs enfans, dont un seul lui sur vécut. Aussi, cassé et impotent, se faisant porter dans les immenses salles de son immense palais, afin d’inspecter sculptures, dorures et fresques, il secouait tristement la tête et disait : — Hélas ! hélas ! voilà une bien grande maison pour une si petite famille !

En effet, il laissa pour tout héritier de son nom, de ses biens et de sa puissance, Pierre de Médicis, qui, placé entre Cosme le Père de la patrie et Laurent le Magnifique, obtint pour tout surnom celui de Pierre le Goutteux.