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être très beau comme art, mais c’est certainement fort laid comme réalité.

Une autre singularité de la Pergola, c’est le privilège qu’ont les tanneurs, les corroyeurs, et en général tous les manipuleurs de cuir, de venir se casser le cou pour le plus grand plaisir des spectateurs. À quelle époque remonte ce privilège ? quelle circonstance y a donné lieu ? quelle belle action est-il chargé de récompenser ? C’est ce que j’ignore, mais le privilège existe, voilà le fait. En conséquence, pourvu qu’ils s’habillent à leur compte, ces étranges comparses peuvent venir figurer gratis, chose à laquelle ils ne manquent pas, tandis qu’on a toutes les peines du monde à avoir d’autres figurans payés. En vertu du même privilège, ils ne se mêlent point avec le vulgaire, ils entrent à part, restent entre eux, s’emparent d’un intermède tout entier, et exécutent des groupes, des combats et des cabrioles pareils à ceux des alcides, moins la force, et à ceux des bédouins moins la légèreté. Ces groupes, ces combats et ces cabrioles, au reste, sont toujours fort applaudis, et l’honorable corporation des tanneurs et corroyeurs emporte sa bonne part des applaudissemens de la soirée.

Parfois, au milieu d’une cavatine ou d’un pas de deux, une cloche au son aigu et déchirant se fait entendre : c’est la cloche de la Miséricorde. Écoutez bien : si elle sonne un coup, c’est pour un accident ordinaire ; si elle sonne deux coups, c’est pour un accident grave ; si elle sonne trois coups, c’est pour un cas de mort. Alors vous voyez les loges s’éclaircir, et il arrive souvent que celui avec qui vous causez, s’il est Florentin, s’excuse de vous laisser au milieu de la conversation, prend son chapeau et sort. Vous vous informez de ce que veut dire cette cloche et d’où vient l’effet qu’elle produit. Alors on vous répond que c’est la cloche de la Miséricorde, et que celui avec qui vous causiez étant frère de cet ordre, il se rend à son pieux devoir.

La confrérie de la Miséricorde est une des plus belles institutions qui existent au monde. Fondée en 1244, à propos des fréquentes pestes qui désolèrent le dix-huitième siècle, elle s’est perpétuée jusqu’à nos jours sans altération aucune, sinon dans ses détails, du moins dans son esprit. Elle se