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aristocratiques ; le peuple n’y paraît même pas. Une des choses particulières encore aux Toscans, est cette distinction des rangs que les classes inférieures maintiennent avec soin, loin de chercher, comme en France, à les effacer éternellement.

La promenade d’été est un grand pré, d’un tiers de lieue de long à peu près et de cent pas de large, tout bordé, sur un côté, d’un rideau de grands arbres qui intercepte entièrement les rayons du soleil. Ces arbres, qui se composent de chênes verts, de pins, de hêtres garnis d’énormes lierres, sont des plus beaux que j’aie jamais vus, même dans les forêts de France et d’Allemagne ; c’est la remise d’une multitude de lièvres et de faisans qui se promènent pêle-mêle avec les promeneurs ; parmi ceux-ci on reconnaît les chasseurs : ils mettent le gibier en joue avec leurs cannes.

Au milieu de tout ce monde, et coudoyé par ceux qui ne le connaissent pas, vêtu avec une simplicité extrême, se promène le grand-duc accompagné de sa femme, de ses deux filles, de sa sœur, et de la grande-duchesse douairière. Deux ou trois autres beaux enfans qui composent le reste de sa famille bondissent joyeusement à part sous la surveillance de leurs gouvernantes.

Le grand-duc est un homme de quarante à quarante-deux ans, aux cheveux déjà blanchis par le travail ; car le grand-duc, Toscan par le cœur, mais Allemand par l’esprit, travaille huit à dix heures par jour. Il porte habituellement, un peu inclinée, sur sa poitrine, sa tête que de dix pas en dix pas il relève pour saluer ceux qui passent. À chaque salut, sa figure calme et pensive s’éclaire d’un sourire plein d’intelligente bienveillance : ce sourire lui est particulier, et je ne l’ai vu qu’à lui.

La grande-duchesse lui donne ordinairement le bras : sa mise est simple, mais toujours parfaitement élégante. C’est une princesse de Naples, gracieuse comme sont en général les princesses de la maison de Bourbon, et qui serait belle partout, car sa beauté n’a point de type particulier ; c’est quelque chose à la fois de bon et de distingué : ses épaules et ses bras surtout pourraient servir de modèle à un statuaire.