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ils poussèrent de grands cris d’insulte et de provocation, et firent face à l’ennemi.

En ce moment, l’évêque qui avait dit la messe et qui, comme tous les homme privés du sens avait exercé les autres à le remplacer, entendit du bruit derrière lui, se retourna, et ses yeux, tout affaiblis qu’ils étaient, crurent apercevoir entre lui et l’horizon une ligne qui, un instant auparavant, n’existait pas. Il frappa sur l’épaule de son voisin et lui demanda si ce qu’il voyait était une muraille ou un brouillard. « Ce n’est ni l’un ni l’autre, dit le soldat, ce sont les boucliers des ennemis. » En effet, un corps de cavalerie allemande avait tourné le Monte Aperto, passé l’Arbia à gué, et attaquait les derrières de l’armée florentine, tandis que le reste des Siennois lui présentait le combat de face.

Alors Jacopo del Vacca, pensant que l’heure était venue d’engager la bataille, éleva au-dessus de toutes les têtes l’étendard de Florence qui représentait un lion, et cria : — En avant ! Mais au même instant Bocca degli Abatti, qui était Gibelin dans l’âme, tira son épée du fourreau et abattit d’un seul coup la main et l’étendard ; puis s’écriant : À moi les Gibelins ! il se sépara avec trois cents nobles du même parti de l’armée guelfe pour aller rejoindre la cavalerie allemande.

Cependant la confusion était grande parmi les Florentins : Jacopo del Vacca élevait son poignet mutilé et sanglant, en criant : — Trahison ! Nul ne pensait à ramasser l’étendard foulé aux pieds des chevaux, et chacun, en se voyant chargé par celui qu’un instant auparavant il croyait son frère, au lieu de s’appuyer sur son voisin, s’éloignait de lui, craignant plus encore l’épée qui le devait défendre que celle qui le devait attaquer. Alors le cri de trahison proféré par Jacopo del Vacca passa de bouche en bouche, et chaque cavalier, oubliant le salut de la patrie pour ne penser qu’au sien, tira du côté qui lui semblait le moins dangereux, confiant sa vie à la vitesse de son cheval, et laissant son honneur expirer à sa place sur le champ de bataille, si bien que de ces 3,000 hommes, qui étaient tous de la noblesse, trente-cinq vaillans restèrent seuls, qui ne voulurent pas fuir et qui moururent.