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arriver au ciel sans recommandation qu’avec la sienne.

C’est sur la place de la Darse que s’élève la statue de Ferdinand Ier. Comme je n’ai pas grand’chose à dire sur Livourne, j’en profiterai pour raconter l’histoire de ce second successeur du Tibère toscan, ainsi que celle de François Ier son frère, et de Bianca Capello sa belle-sœur. Il y a plus d’un roman moins étrange et moins curieux que cette histoire.

Sur la fin du règne de Cosme le Grand, c’est-à-dire vers le commencement de l’an 1563, un jeune homme nommé Pierre Bonaventuri, issu d’honnête mais pauvre famille, était venu chercher fortune à Venise. Un de ses oncles, qui portait le même nom que lui, et qui habitait la ville sérénissime depuis une vingtaine d’années, le recommanda à la maison de banque des Salviati, dont il était lui-même un des gérans. Le jeune homme était de haute mine, possédait une belle écriture, chiffrait comme un astrologue : il fut reçu sans discussion comme troisième ou quatrième commis, avec promesse que, s’il se conduisait bien, il pourrait, outre sa nourriture, dans trois ou quatre ans, arriver à gagner 150 ou 200 ducats. Une pareille promesse dépassait tout ce que le pauvre Bonaventuri avait jamais pu rêver dans ses songes les plus ambitieux. Il baisa les mains de son oncle et promit aux Salviati de se conduire de manière à être le modèle de toute la maison. Le pauvre Pietro avait bonne envie de tenir parole ; mais le diable se mêla de ses affaires et vint se jeter au travers de toutes ses bonnes intentions.

En face de la banque de Salviati logeait un riche seigneur vénitien, chef de la maison Capello, lequel avait un fils et une fille. Le fils était un beau jeune homme, à la barbe pointue, à la moustache retroussée, à la parole leste et insolente ; ce qui faisait que trois ou quatre fois par mois il tirait l’épée à propos de jeu ou de femmes, car de la politique il ne s’en mêlait aucunement, trouvant la chose trop sérieuse pour être discutée par d’autres que par des barbes grises : si bien qu’on avait déjà rapporté deux fois à la maison paternelle Giovannino perforé de part en part ; mais, attendu sans doute que le diable aurait trop perdu à sa mort, Giovannino en était revenu. Cependant, comme le père était un homme de sens, et qu’il avait pensé qu’il n’aurait