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des platanes, il y a autant de spectateurs sur les arbres et aux fenêtres qu’il y en a dans le théâtre, ce qui ne doit pas laisser que de faire un certain tort à la recette. Comme on le comprend bien, nous ne tentâmes aucune économie sur les douze sous que coûtait le billet d’entrée, et nous nous exécutâmes bravement, Jadin et moi, de nos soixante centimes par tête.

Au fait, le spectacle valait bien cela. Comme l’annonçait le programme, les costumes étaient nouveaux ; un peu trop nouveaux même, pour l’an 1585 où se passe l’action, car les costumes remontaient tout bonnement à 1812.

Hélas ! c’était la défroque tout entière de quelque pauvre petite cour impériale en Italie, peut-être celle de cette gracieuse et spirituelle grande-duchesse Élisa. Il y avait les robes de velours vert brochées d’or, avec leurs tailles sous les épaules, et leurs longues queues traînantes ; il y avait les costumes de princes et de pairs avec leurs chapeaux à plume à la Henri IV et leurs manteaux à la Louis XIII ; seulement les culottes avaient manqué, à ce qu’il parait, et les acteurs intelligens y avaient suppléé par des pantalons de soie rose et bleue, auxquels ils avaient, pour leur donner l’air étranger, fait des ligatures au dessous des genoux et au-dessus des chevilles. Quant à Leicester, au lieu d’une jarretière, il en avait deux, façon ingénieuse d’indiquer sans doute le crédit dont il jouissait près de la reine.

La représentation se passa sans accident, et à la vive satisfaction des spectateurs ; seulement au moment où la reine allait signer l’arrêt de sa rivale, un coup de vent emporta la sentence des mains d’Élisabeth. Élisabeth qui, comme on le sait, aimait assez à faire ses affaires elle-même, au lieu de sonner quelque page ou quelque huissier, se mit à courir après, mais un second coup de vent envoya la sentence dans le parterre. Nous fûmes au moment, Jadin et moi, de crier grâce, en voyant que le ciel se déclarait aussi ouvertement pour la pauvre Marie, mais en ce moment un spectateur ramassa le papier et le présenta à la reine, qui lui fit une révérence en signe de remercîment, alla se rasseoir à la table, et le signa aussi gravement que s’il n’était rien arrivé. Marie