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emmanuel.

Alors, c’est une guerre déclarée ?

marguerite.

Que Dieu, je l’espère, me donnera la force de soutenir. Adieu, Emmanuel, sois heureux.

emmanuel, la regardant s’éloigner.

Adieu, pauvre roseau qui te crois un chêne ; oh ! quand la main de ma mère va s’appesantir sur toi, comme tu courberas la tête, comme tu plieras les genoux ! (Apercevant Paul à la porte de la bibliothèque.) Ah ! vous voilà monsieur ! préparez vos lettres, et je vais vous signer l’obligation que vous demandez.

Il va vers la table.
paul.

C’est inutile, monsieur le comte.

emmanuel, vivement.

Comment cela ?

paul.

Je donnerai les cent mille livres à votre neveu, et je me chargerai de trouver un mari à votre sœur.

emmanuel, bondissant.

Mais qui êtes-vous donc, monsieur, qui disposez ainsi de ma famille ?

paul, s’éloignant.

Qui je suis ? je vous le dirai demain, car je dois l’apprendre ce soir.

emmanuel, l’arrêtant.

Et vous me donnez votre parole d’honneur que je vous reverrai demain ?

paul, se dégageant.

Je vous la donne.

Il sort.
emmanuel, seul.

Ce que je vois de plus clair dans tout cela, c’est que voilà un homme avec lequel je me brûlerai certainement la cervelle !…


fin du premier acte.

ACTE DEUXIÈME.


Une chambre au rez-de-chaussée, chez Louis Achard, à deux cents pas du château d’Auray ; une porte au fond qui, lorsqu’elle est ouverte, laisse apercevoir les arbres d’un parc ; à droite du spectateur, une fenêtre ; à gauche, une porte donnant dans une deuxième chambre.

Scène PREMIÈRE

LA MARQUISE, ACHARD.
Au lever du rideau, la marquise seule est assise près d’une table à gauche de l’acteur ; une bible ouverte est sur cette table ; la marquise réfléchit profondément, son grand voile noir l’enveloppe presque entièrement et retombe jusqu’à terre ; Achard entre, et, apercevant la marquise, il va à elle.
achard.

Madame la Marquise…

la marquise, relevant la tête.

C’est vous, Achard, je vous attends depuis une demi-heure ; où donc étiez-vous ?

achard.

Si madame la marquise avait voulu faire cinquante pas de plus, elle m’aurait trouvé sous le grand chêne près de la porte du parc.

la marquise.

Vous savez que je ne vais jamais de ce côté.

achard.

Et peut-être avez-vous tort, madame : il y a quelqu’un au ciel qui a droit à nos prières communes, et qui s’étonne peut-être de n’entendre que celles du vieil Achard.

la marquise.

Qui vous dit que je ne prie pas de mon côté, et qui vous fait croire que les morts exigent que l’on soit sans cesse agenouillé sur leur tombe ?

achard.

Rien ! je crois seulement que si quelque chose de nous vit encore sous la terre, ce quelque chose tressaille de plaisir au bruit des pas de ceux que nous avons aimés pendant notre vie.

la marquise.

Mais si cet amour fut un amour coupable ?

achard.

Croyez-vous que la mort et le sang ne l’aient pas expié ? Dieu fut alors un juge trop sévère pour n’être pas aujourd’hui un père indulgent.

la marquise.

Oui, Dieu pardonne peut-être, parce que la toute-puissance est la toute-bonté, mais croyez-vous que si le monde savait ce que Dieu sait, il pardonnerait comme Dieu.

achard.

Le monde, oui, voilà le grand mot sorti de votre bouche : le monde ! c’est à cette idole que votre orgueil a tout sacrifié, madame ; sentiment d’amante, sentiment d’épouse, sentiment de mère ; le monde ! c’est lui qui vous a fait revêtir ce vêtement de deuil, derrière lequel vous avez espéré lui cacher vos remords ; et vous avez eu raison, car il a pris vos remords pour des vertus.

la marquise, se levant.

Vous parlez au nom des autres avec une amertume qui ferait croire que vous avez personnellement des reproches à me faire. Achard, aurais-je manqué à quelques-uns des devoirs que je crois avoir à remplir envers vous ? les gens qui vous servent par mes ordres n’ont-ils pas eu pour vous le respect et l’obéissance que je leur recommande ?