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nons cette affaire pendant que nous y sommes. Je vais recevoir ma sœur ; mais, comme il est parfaitement inutile qu’elle vous voie, entrez dans ce cabinet, vous y trouverez une bibliothèque.

paul.

Faites, monsieur.

Il entre dans le cabinet à gauche de l’acteur.
emmanuel, à Jasmin.

Ouvrez à ma sœur.



Scène V.

EMMANUEL, MARGUERITE, PAUL, dans le cabinet.
emmanuel.

Venez, Marguerite, et dites vite ce que vous avez à me dire ; je suis en affaires.

marguerite.

Il y a un temps, Emmanuel, où, en nous revoyant après deux mois d’absence, nous nous serions jetés dans les bras l’un de l’autre.

emmanuel.

Oui ; mais depuis cette époque tant de choses ont passé entre nous !

marguerite.

Qui peut donc passer entre deux enfans de la même mère ? qui peut séparer le sang du sang, le frère de la sœur ?

emmanuel.

Une faute.

marguerite.

Vous êtes cruel, mon frère : vous savez que je ne puis implorer mon père, vous savez que devant ma mère je tremble à n’oser dire une parole, vous savez que mon seul espoir est en vous ; vous me voyez entrer, non pas comme une sœur devrait entrer chez son frère, non pas la joie dans le regard, le sourire sur les lèvres, mais les larmes aux yeux, la prière à la bouche, comme un suppliant entrerait chez son juge, et d’un mot que vous laissez tomber sur ma tête, voilà que vous me ployez à vos pieds.

emmanuel.

Que voulez-vous ?

marguerite.

Je veux savoir si ce que l’on dit est vrai.

emmanuel.

Que dit-on ?

marguerite.

Que demain soir…

emmanuel.

Après ?

marguerite.

Monsieur le baron de Lectoure…

emmanuel.

Sera ici, c’est vrai.

marguerite.

Oh ! mon Dieu !

emmanuel.

J’espérais qu’en prenant la précaution d’annoncer deux mois d’avance son arrivée vous auriez eu le temps de vous y préparer.

marguerite.

Si menacé qu’on soit, l’on espère toujours, et l’on a vu des condamnés obtenir leur grâce au pied même de l’échafaud. (Suppliante.) Emmanuel !

emmanuel.

Eh bien ?

marguerite.

Ne comprends-tu pas ? oh ! si Dieu avait voulu que je pusse l’épargner un chagrin, comme tu peux m’épargner un malheur ; si tu m’avais priée comme je te prie, si je n’avais eu qu’un mot à dire, non pas pour te rendre heureux, je n’aspire plus au bonheur, mais pour te sauver du désespoir… oh ! avec quelle reconnaissance j’aurais béni le ciel en prononçant ce mot !

emmanuel.

Cela ne dépend pas de moi… c’est une chose que mon père désire, un projet arrêté par ma mère, une alliance nécessaire à l’honneur de notre famille.

marguerite.

Une chose que mon père désire !… plût à Dieu qu’il put désirer quelque chose, pauvre père !… et que je pusse mourir pour cette chose… un projet arrêté par ma mère… oh ! celui qui lui a suggéré ce projet obtiendrait, je crois, bien facilement qu’elle y renonçât… une alliance nécessaire à l’honneur de notre famille… grâce au ciel, notre famille est assez puissante de nom et de richesse pour qu’elle ne reçoive aucun nouveau lustre de l’alliance même d’un prince ! Ce n’est pas tout cela, Emmanuel… non, ce n’est pas tout cela… Vous avez fait marché de moi, n’est-ce pas ? vous m’avez vendue au compte de votre ambition, dites ? vous m’avez troquée contre une croix et un brevet, et vous vous êtes dit : C’est une enfant qui obéira ; d’ailleurs, si elle résistait, je me ferais une arme de son isolement et de son malheur pour tuer sa volonté… vous vous êtes trompé, Emmanuel, c’est dans mon malheur même que je trouverai ma force ; c’est dans mon isolement que je puiserai ma résistance.

emmanuel.

Ainsi, vous êtes décidée à désobéir à votre mère ?

marguerite.

La nuit où je vis pour la dernière fois celui que je ne reverrai plus, un prêtre nous attendait pour nous unir ; Lusignan était à mes pieds, fou, délirant, désespéré, disant que je ne l’aimais pas ; je refusais de le suivre, car je ne voulais pas désobéir à ma mère ; mais aussi, pendant cette même nuit, je lui jurai que si je n’étais pas à lui, je ne serais à nul autre, le serment que j’avais fait au père, je l’ai répété depuis sur la tête de mon fils, et maintenant, c’est non seulement un serment d’amante, mais encore un serment de mère.