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avaient autorisé ces migrations armées, et donné des lettres de marque à je ne sais quel pirate ?

emmanuel.

Tout cela est vrai, madame.

la marquise, solennellement.

Dieu veille donc sur leurs majestés le roi et la reine de France !

Elle sort lentement et sans se retourner.



Scène III

EMMANUEL, puis JASMIN.
emmanuel, seul, regardant s’éloigner sa mère.

C’est ce vieux château qui lui donne ces idées tristes et lugubres, et je ne sais moi-même pourquoi : mais on dirait qu’il a été commis ici quelque crime qui pèse sur la conscience de ceux qui l’habitent. Je ne crois plus à l’avenir dès que j’y rentre. Quand donc le quitterai-je, bon Dieu !

jasmin, présentant une carte à son maître.

Pour monsieur le comte.

emmanuel.

Une carte. M. Paul… Qu’est-ce que M. Paul ?



Scène IV

Les Mêmes, PAUL JONES.
paul.

C’est moi, monsieur.

emmanuel, avec hauteur.

Il paraît, monsieur, que vous désirez vivement me parler ?

paul, s’inclinant.

J’avoue, monsieur le comte, que j’attache un grand prix à l’entretien que vous allez, j’espère, me faire l’honneur de m’accorder.

emmanuel.

Vous avez une manière de demander les choses, monsieur, qui éloigne jusqu’à la chance d’un refus. Veuillez vous asseoir, si cette conférence doit durer long-temps

paul, s’asseyant tranquillement.

Volontiers, car j’ai beaucoup de choses à vous dire.

emmanuel.

Parlez, monsieur.

paul.

Faites sortir votre valet.

emmanuel, à Jasmin.

Laisse-nous. (Jasmin sort ; à Paul.) Maintenant j’espère que vous me direz d’abord, et avant d’entamer cet entretien, à qui j’ai l’honneur de parler ?

paul.

C’est trop juste, monsieur ; je suis le capitaine dont le vaisseau a transporté à Cayenne le jeune Lusignan.

emmanuel, se courbant pour le regarder.

Impossible !

paul, toujours assis et avec, nonchalance.

Il est vrai que l’avant dernière fois que nous nous vîmes, lorsqu’à Brest vous me fîtes l’honneur de me rendre visite à mon bord, je portais de longs cheveux noirs, coupés carrément, un large chapeau de paille et le paletot de marin, tout cela change un homme, surtout lorsqu’il ajoute à ce costume un accent bas-breton fortement prononcé.

emmanuel, le regardant fixement.

Effectivement, monsieur, je crois me rappeler que sous ce large chapeau dont vous me parlez, je vis briller des yeux pareils aux vôtres, je ne les ai point oubliés ; puis ce capitaine se faisait appeler du nom sous lequel vous vous présentez chez moi, monsieur Paul… (Paul s’incline) mais c’est l’avant-dernière fois que j’eus l’honneur de vous voir, m’avez-vous dit ? aidez mon souvenir, monsieur, je vous prie, car je ne me rappelle pas quelle fut la dernière.

paul.

La dernière, monsieur le comte, ce fut il y a huit jours, à Paris, dans un assaut d’armes chez le fils du ministre de la marine ; cette fois, j’étais en officier anglais et m’appelais Jones ; je portais des cheveux blonds, un habit rouge, un pantalon collant ; j’eus l’honneur de faire des armes avec vous, monsieur le comte, et de vous boutonner trois fois, sans que vous me touchiez une seule.

emmanuel.

C’est étrange ; oui, voilà bien le même regard, et cependant ce n’est point le même personnage.

paul.

C’est que Dieu a voulu que le regard de l’homme fût la seule chose qu’il ne pût déguiser, c’est pour cela qu’il y a mis une étincelle de sa flamme. Le capitaine Paul est le même que l’anglais Jones, et l’anglais Jones est le gentilhomme que vous avez devant les yeux.

emmanuel.

Et aujourd’hui, monsieur, que vous plaît-il d’être ?

paul.

Moi-même : car aujourd’hui je n’ai aucun motif pour me cacher. Cependant, si vous avez quelque préférence pour une nation, je serai ce que vous voudrez… Français, Américain, Anglais ou Espagnol. Dans laquelle de ces langues vous plaît-il que je continue cette conversation ?

emmanuel.

Quoique quelques-unes d’entre elles me soient comme à vous familières, je choisirai le français, monsieur, c’est la langue des explications courtes et concises.

paul, avec mélancolie.

Soit, monsieur le comte ; cette langue est aussi celle que je préfère ; car je suis né sur la terre de France. Le soleil de France est le premier qui ait réjoui mes yeux, et quoique bien souvent j’aie vu des terres plus fertiles et un soleil plus bril-