sor, trésor d’honneur, le plus précieux de tous. Tenez, croyez-moi, prenez cette arme (il jette le pistolet aux pieds de Paul), et défendez-vous !
Vous pouvez me tuer, monsieur, quoique je ne pense pas que Dieu permette un si grand crime ; mais vous ne me forcerez pas à me battre avec vous ! je vous l’ai dit et je vous le répète.
Ramassez ce pistolet, monsieur ! ramassez-le, je vous le dis, et défendez-vous ! (Paul, sans répondre, hausse les épaules et repousse le pistolet du pied. Emmanuel continuant et hors de lui.) Eh bien, puisque tu ne veux pas te défendre comme un homme, meurs donc comme un chien !
Scène V
Mon frère !… mon frère, n’es-tu pas blessé ?
Ton frère ? ton frère ?
Eh bien ! Emmanuel, comprenez-vous maintenant pourquoi je ne pouvais me battre avec vous ?
Scène VI
Je vous remercie, mes enfans ; maintenant, laissez-moi seule avec ce jeune homme.
Scène VII
Vous avez désiré me voir, monsieur, et je suis venue ; vous avez désiré me parler, j’écoute.
Oui, madame, oui, j’ai désiré vous parler : il y a bien long-temps que ce désir m’est venu pour la première fois, et ne m’est plus sorti du cœur. J’avais des souvenirs d’enfant, qui tourmentaient l’homme. Je me rappelais une femme que j’avais vue jadis se glisser jusqu’à mon berceau, et que, dans mes rêves juvéniles, je prenais pour l’ange gardien de mes jeunes années. Depuis cette époque si vivante encore, quoique si éloignée, plus d’une fois, madame, croyez-moi, je me suis réveillé en tressaillant, comme si je venais de sentir à mon front l’impression d’un baiser maternel ; puis, ne voyant personne près de moi, je l’appelais, cette femme, croyant qu’elle s’était éloignée et qu’à ma voix elle reviendrait peut-être. Voilà vingt ans que je l’appelle ainsi, madame ; et voilà la première fois qu’elle me répond. Serait-il vrai, comme j’en ai si souvent frissonné, que vous eussiez tremblé de me voir ? Serait-il vrai, comme je le crains en ce moment, que vous n’eussiez rien à me dire ?
Et si j’avais craint votre retour, aurais-je eu tort ? Vous m’êtes apparu hier seulement, monsieur, et voilà que le mystère terrible qui, à cette heure, ne devait être su que de Dieu et de moi, est connu de mes deux enfans.
Est-ce donc ma faute si Dieu s’est chargé de le leur révéler ?… Est-ce moi qui ai conduit Marguerite éplorée et tremblante, près de son père mourant dont elle allait demander l’appui, et dont elle a entendu la confession ! est-ce moi qui l’ai ramenée chez Achard, et n’est-ce pas vous, madame qui l’y avez suivie ? Quant à Emmanuel, le coup que vous avez entendu et cette glace brisée font foi que j’aimais mieux mourir que de sauver ma vie aux dépens de votre secret. Non, non, croyez-moi, madame, je suis l’instrument et non le bras, l’effet et non la volonté ; non, madame, c’est Dieu qui a tout conduit dans sa providence infinie, pour que vous ayez à vos pieds, comme vous venez de les y voir, les deux enfans que vous avez écartés si long-temps de vos bras.
Mais il en est un troisième, et je ne sais ce que je dois attendre de celui-là.
Laissez-lui accomplir un dernier devoir, madame, et, ce devoir accompli, il demandera vos ordres à genoux.
Et quel est ce devoir ?
C’est de rendre à son frère le rang auquel il a droit ; à sa sœur le bonheur qu’elle a perdu ; à sa mère la tranquillité qu’elle implore et qu’elle ne peut trouver.
Et cependant, grâce à vous, M. de Maurepas a refusé au baron de Lectoure le régiment qu’il lui demandait pour mon fils.
Parce que le roi venait de me l’accorder pour mon frère.
Et cependant, vous voulez donner Marguerite à un homme sans nom, sans fortune, et, qui plus est, proscrit !