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paul.

Justice du ciel !

marguerite.

Lorsque je revins à moi, la chambre était silencieuse comme une tombe ; ma mère et le prêtre étaient disparus. J’ouvris la porte, je jetai les yeux sur le lit, et il me sembla sous les draps, voir se dessiner la forme d’un cadavre !… Je devinai que tout était fini… une terreur glaçante, invincible, mortelle, me poussa hors de l’appartement ; je descendis l’escalier je ne sais comment, sans en toucher une marche, je crois ; je traversai des chambres, des galeries ; enfin je sentis, à la fraîcheur de l’air, que j’étais dehors. Je courais… je me rappelai que vous m’aviez dit que vous seriez ici, un instinct me poussait de ce côté. Il me semblait que j’étais poursuivie par des ombres, par des fantômes !… Au détour d’une allée, étais-je insensée !… je crus voir ma mère, ma mère tout en noir ! c’est alors que vous avez entendu mes cris ; je courus encore un instant ; puis je tombai près de cette porte ; si elle ne s’était pas ouverte, je mourais ! car je vous le dis, j’étais tellement troublée que je croyais… silence !

S’approchant de Paul.
paul.

Des pas !

La porte du fond s’ouvre, la marquise paraît.
marguerite, s’enveloppant dans les rideaux de la croisée et enveloppant Paul avec elle.

Regardez, regardez !



Scène V

Les Mêmes, LA MARQUISE.
Le théâtre est dans l’obscurité ; la marquise entre lentement, tire la porte derrière elle, la ferme à clef, et, sans voir Paul et Marguerite, traverse la première chambre, entre dans la seconde et s’arrête au pied du lit d’Achard.
achard, ouvrant un des côtés du rideau.

Qui est là ?

la marquise, ouvrant l’autre.

Moi.

achard.

Vous ! et que venez-vous faire au lit d’un mourant ?

la marquise.

Je viens lui proposer un marché.

achard.

Pour perdre son âme, n’est-ce pas ?

la marquise.

Pour la sauver ! Achard, tu n’as plus besoin que d’une chose en ce monde : c’est d’un prêtre.

achard.

Vous m’avez refusé celui du château.

la marquise.

Si tu le veux, dans cinq minutes il sera ici.

achard.

Faites-le donc venir ; mais hâtez-vous.

la marquise.

Mais si je te donne la paix du ciel, me donneras-tu la paix de la terre, dis ?

achard.

Que puis-je pour vous ?

la marquise.

Tu as besoin d’un prêtre pour mourir, tu sais ce dont j’ai besoin pour vivre !

achard.

Vous voulez me fermer le ciel par un parjure !

la marquise.

Je veux te l’ouvrir par un pardon.

achard.

Je l’ai reçu.

la marquise.

Et de qui ?

achard.

De celui-là seul qui avait le droit de me le donner.

la marquise, avec ironie.

Morlaix est-il descendu du ciel !

achard.

Non ; mais il avait laissé un fils sur la terre.

la marquise.

Tu l’as donc revu aussi, toi ?

achard.

Oui.

la marquise.

Et tu lui as tout dit ?

achard.

Tout.

la marquise.

Et les papiers qui constatent sa naissance ?

achard.

Le marquis n’était pas mort : les papiers sont là.

la marquise.

Achard ! (tombant à genoux) Achard ! tu auras pitié de moi !

achard.

Vous à genoux devant moi, madame !

la marquise.

Oui, vieillard, oui, je suis à genoux devant toi, et je te prie, et je t’implore ! car tu tiens entre les mains mourantes l’honneur d’une des plus nobles familles de France ! ma vie passée, ma vie à venir ; ces papiers, c’est moi, c’est plus que moi, c’est mon nom, celui de mes enfans ! et tu sais ce que j’ai souffert pour garder ce nom sans tache ? Crois-tu que je n’avais pas au fond du cœur comme les autres femmes des sentimens d’amante, d’épouse et de mère ? Eh bien ! je les ai étouffés tous les uns après les autres, et la lutte a été longue, car voilà vingt ans qu’elle dure !

marguerite, dans l’autre chambre.

Que dit-elle ? oh ! mon Dieu !

paul.

Écoute ! c’est le Seigneur qui permet que tout te soit dévoilé.

achard.

Vous avez douté de la bonté de Dieu, madame, vous avez oublié qu’il a pardonné à la femme adultère.