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paul.

Père, je ne puis le remplacer, je le sais, dans ses fonctions sacrées ; mais nous parlerons de Dieu ensemble, de sa grandeur, de sa bonté.

achard.

Oui ; mais terminons d’abord avec les choses de la terre, pour ne plus penser qu’à celles du ciel. On dit que, comme moi, le marquis se meurt ?

paul.

On le dit.

achard.

Tu sais qu’aussitôt sa mort, les papiers renfermés dans cette armoire devaient t’être remis ?

paul.

Je le sais.

achard.

Si je meurs avant lui, si je meurs sans prêtre, à qui confier ce dépôt ? (Lui montrant sous le chevet de son lit une clef.) Tu prendras cette clef ; elle ouvre cette armoire ; tu y trouveras une cassette ; tu es homme d’honneur… jure-moi que tu n’ouvriras cette cassette que lorsque le marquis sera mort.

paul.

Je vous le jure.

achard.

C’est bien ! Maintenant je mourrai tranquille.

paul.

Vous le pouvez ; car le fils vous tient la main dans ce monde, et le père vous la tend dans le ciel.

achard.

Crois-tu qu’il sera content de ma fidélité ?

paul.

Jamais roi n’a été obéi pendant sa vie comme il l’a été après sa mort.

achard.

Oui, je n’ai été que trop exact à suivre ses commandemens. J’aurais dû ne pas souffrir ce duel… j’aurais dû me refuser à en être le témoin. Écoute, Paul, voilà ce que je voulais dire à un prêtre ; car c’est la seule chose qui charge ma conscience ; écoute : il y a des momens de doute, où j’ai regardé ce duel solitaire comme un assassinat !… Alors, alors, comprends-tu ? je ne serais pas témoin, mais complice !

paul.

Mon père, je ne sais si les lois de la terre sont toujours d’accord avec les lois du ciel, et si l’honneur, selon les hommes, est la vertu selon Dieu. Je ne sais si notre église ennemie du sang permet que l’offensé tente de venger lui-même son injure sur l’offenseur, et si, dans ce cas, le jugement de Dieu dirige toujours ou la balle du pistolet, ou la pointe de l’épée. Ce sont là de ces questions qu’on décide non pas avec le raisonnement, mais avec la conscience. Eh bien ! ma conscience me dit qu’à ta place j’aurais fait ce que tu as fait. Si la conscience qui me trompe t’a trompé aussi, plus qu’un autre j’ai droit de te pardonner, moi, et en mon nom, et en celui de mon père, je te pardonne.

achard.

Merci : voilà des paroles comme il en faut à l’âme d’un mourant. Un remords est une terrible chose, vois-tu ; un remords conduit à douter de Dieu, parce qu’en doutant de Dieu, on doute de la punition.

paul.

Écoute, moi aussi, j’ai souvent douté ; car, isolé et perdu comme je l’étais dans le monde, sans famille et sans appui sur la terre, je cherchais un soutien en Dieu, je demandais à tout ce qui m’entourait une preuve de son existence, et je disais : Si je savais où trouver la tombe de mon père, je l’interrogerais.

achard.

Pauvre enfant !

paul.

Alors, je me suis dit : Cherchons Dieu dans l’œuvre de Dieu !… Dès ce moment a commencé pour moi cette vie errante qui restera un mystère éternel entre le ciel, la mer et moi. Elle m’a égaré dans les solitudes de l’Amérique ; car je pensais qu’un monde plus nouveau devait être plus près de Dieu. Et là, souvent dans ces forêts vierges, où le premier parmi les hommes, peut-être j’étais entré, sans autre abri que le ciel, sans autre couche que la terre, abîmé dans une seule pensée, j’ai écouté ces mille bruits divers de la nature qui s’endort ou du monde qui se réveille… Longtemps encore je suis resté sans comprendre cette langue inconnue, que forment en se mêlant ensemble le murmure des fleuves, la vapeur des lacs, le bruissement des forêts et le parfum des fleurs… Enfin peu à peu se souleva le voile qui couvrait mes yeux et le poids qui oppressait mon cœur ; et dès lors, je commençai à croire que ces rumeurs du soir et ces bruits du crépuscule n’étaient qu’une hymne universelle, par laquelle les choses créées rendaient grâces au Créateur !… Alors j’ai cherché sur l’océan ce reste de conviction que me refusait la terre. La terre, ce n’est que l’espace ; l’océan, c’est l’immensité ! L’océan, c’est ce qu’il y a de plus large, de plus fort et de plus puissant après Dieu !… L’océan, je l’ai entendu rugir comme un lion irrité… puis, à la voix de son maître, se coucher comme un chien soumis. Je l’ai senti se dresser comme un géant rebelle, qui veut escalader le ciel ; puis, sous le fouet de l’orage, se plaindre comme un enfant qui pleure. Je l’ai vu croisant ses vagues avec l’éclair et essayant d’éteindre la foudre avec son écume ; puis s’aplanir comme un miroir, et réfléchir jusqu’à la dernière étoile du ciel. Sur la terre, j’avais reconnu l’existence ; sur l’océan, je reconnus le pouvoir. Dans la solitude, j’avais entendu la voix du Seigneur ; mais, comme Ézéchiel, je le vis passer dans la tempête ! Dès lors, le doute fut chassé de mon cœur ; je crus, et je priai !

achard, s’agenouillant, les mains jointes, et priant à demi-voix.

Je crois en Dieu père tout puissant, créateur du ciel et de la terre !