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père comme vous avez brisé celui de l’époux !

Il se lève.
la marquise.

Vous délirez, monsieur.

le marquis.

Dites, madame, que je suis entre un ange qui veut me rappeler à la raison, et un démon qui veut me rendre à la folie… Non, non, je ne suis plus insensé… faut-il que je vous le prouve ? faut-il que je vous parle de lettres, d’adultère ! de duel !

la marquise, le prenant par le bras.

Je vous dis que vous êtes plus abandonné de Dieu que jamais de dire de pareilles choses, sans songer aux oreilles qui vous écoutent ! Baissez les yeux, regardez qui est là, et osez dire que vous n’êtes pas fou !

le marquis.

Vous avez raison. (Retombant sur sa chaise.) Elle a raison, ta mère ! c’est moi qui suis insensé, et il ne faut pas croire à ce que je dis, mais à ce qu’elle dit, elle ! ta mère ! C’est le dévouement, c’est la vertu !… aussi, elle n’a ni insomnie ni remords ! Qu’est-ce qu’elle veut, ta mère ?

marguerite.

Mon malheur, mon père, mon malheur éternel !…

le marquis.

Et comment puis-je empêcher ce malheur, moi, pauvre fou !… qui crois toujours voir du sang couler d’une blessure !… qui crois toujours entendre une tombe qui parle !…

marguerite.

Oh ! vous pouvez tout ; dites un mot. On veut me marier… écoutez ; me marier à un homme que je n’aime pas… comprenez-vous… à un misérable, à un infâme !… et l’on vous a amené ici, vous, vous, mon père, pour signer ce contrat ! tenez, là, là, sur cette table !…

le marquis, prenant le contrat.

Sans me consulter ! sans me demander si je le veux !… Me croit-on mort, et me craint-on moins qu’un spectre ? Ce mariage fait ton malheur, as-tu dit ?

marguerite.

Éternel, éternel !

le marquis.

Ce mariage ne se fera pas.

la marquise.

Monsieur, j’ai engagé votre nom et le mien.

le marquis.

Ce mariage ne se fera pas, vous dis-je !… (il se lève) c’est une chose trop terrible qu’un mariage où la femme n’aime pas son mari !… cela rend fou !… ce n’est pas moi, ma fille !… moi, la marquise m’a toujours aimé… aimé fidèlement. Ce qui me rend fou c’est autre chose… ce contrat… (il veut le prendre, la marquise l’en empêche) ce qui me rend fou, c’est une tombe qui se rouvre !… c’est un spectre qui sort de terre !… c’est un fantôme qui vient !… qui me parle… qui me dit…

la marquise, répétant près de l’oreille du marquis
les paroles de Morlaix mourant.

Vos jours sont à moi… je pourrais les prendre.

le marquis.

L’entends-tu, l’entends-tu ?

la marquise.

Mais je veux que vous viviez pour me pardonner comme je vous pardonne !

le marquis, retombant dans son fauteuil.

Grâce, Morlaix, grâce !…

marguerite.

Mon père !

la marquise.

Vous voyez que votre père est insensé !…

marguerite.

Oh ! ma voix, mes caresses, mes larmes, lui rendront la raison.

la marquise.

Essayez.

marguerite.

Mon père !

la marquise.

Monsieur !

le marquis.

Hein !…

marguerite.

Mon père !…

la marquise.

Prenez cette plume et signez ; il le faut, je le veux !

Elle pose la main du marquis sur le contrat, et lui met une plume entre les mains ; le marquis signe à moitié.
marguerite, se renversant.

Et maintenant, je suis perdue !…



Scène XII

les Mêmes, PAUL, sortant de la bibliothèque ; puis EMMANUEL et LECTOURE.
paul.

Marquise d’Auray !

la marquise.

Qui m’appelle ?

Marguerite
lectoure et emmanuel, entrant par le fond et allant à Paul.

Monsieur !…

paul, les repoussant du geste.

Arrière !…

lectoure.

Vous me rendrez raison…

paul.

C’est chose dite… Marquise d’Auray, il faut que je vous parle à l’instant.