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le marquis, soulevant la tête.

Qui m’appelle ? quelle est cette voix ? que faites-vous là à mes pieds, mon enfant ? que voulez-vous ? que demandez-vous ?

la marquise.

Marguerite !

marguerite.

Madame, je ne puis m’adresser à vous, laissez-moi donc implorer mon père, à moins que vous n’aimiez mieux (montrant le tabellion) que j’invoque la loi.

la marquise, souriant avec effort.

Allons, c’est une scène de famille, messieurs, et ces sortes de choses, fort attendrissantes pour les grands parens, sont d’habitude assez fastidieuses aux étrangers. Messieurs, veuillez passer dans les chambres voisines ; mon fils, faites les honneurs ; monsieur le baron, pardonnez.

lectoure.

Comment, madame ? (Se retournant vers La Jarry.) Vous dites donc que Mme La Jarry craint horriblement le mal de mer ?

la jarry.

Au point qu’elle a manqué de mourir pour aller d’ici à Belle-Isle.

Tout le monde sort.



Scène XI

LE MARQUIS, MARGUERITE, LA MARQUISE.
la marquise, regardant s’éloigner tout le monde ;
puis, lorsque la dernière personne est disparue,
fermant la porte et venant vivement se placer
à gauche de Marguerite.

Maintenant qu’il n’y a plus ici que ceux qui ont le droit de vous donner des ordres, mademoiselle, signez, ou sortez.

marguerite.

Oh ! par pitié, madame ! (La marquise lui prend le bras ; elle s’attache à son père.) Mon père, mon père ! grâce pour moi, grâce ! Non, non, il ne sera pas dit que depuis dix ans que je n’ai vu mon père, on m’arrachera de ses bras, au moment où je le revois, sans qu’il m’ait reconnue, sans qu’il m’ait embrassée : mon père ! c’est moi, c’est votre fille !

le marquis, rappelant ses souvenirs.

Qu’est-ce que cette voix qui me paraît si douce ? qu’est-ce que cette enfant qui m’appelle son père ?

la marquise, se baissant entre Marguerite et le marquis.

C’est une voix qui s’élève contre les droits de la nature, c’est une enfant rebelle.

marguerite.

Mon père, regardez-moi, sauvez-moi, défendez-moi ! je suis Marguerite.

le marquis.

.

Marguerite ! j’ai eu un enfant de ce nom.

marguerite.

C’est moi, c’est moi, c’est votre fille !

la marquise.

Il n’y a d’enfans que ceux qui obéissent, obéissez, et vous aurez droit de dire que vous êtes notre fille.

marguerite.

Oh ! à vous, mon père, à vous, je suis prête à obéir ! mais vous n’ordonnerez pas, vous, vous ne voudrez pas que je sois malheureuse, oh ! mais, malheureuse à désespérer !

le marquis, la serrant dans ses bras.

Viens ! viens ! oh ! c’est une sensation délicieuse ! et maintenant… oh ! mais il me semble que je me souviens…

la marquise.

Monsieur !

le marquis, relevant la tête.

Prenez garde, madame, prenez garde, ne vous ai-je pas dit que je me souvenais !… Parle ! parle, mon enfant ; qu’as-tu ?

marguerite.

Oh ! je suis bien malheureuse !

le marquis.

.

Tout le monde est donc malheureux ici, cheveux noirs et cheveux blancs, enfant et vieillard ! ah ! moi aussi, moi aussi, (il se renverse dans le fauteuil) je suis bien malheureux !

la marquise, qui est passée à la droite du marquis.

Marquis, remontez dans votre appartement, il le faut.

le marquis.

Oui, n’est-ce pas, pour m’y trouver face à face avec vous ! c’est bon quand je suis fou, madame !

marguerite.

Oui, mon père, vous avez raison, et il y a assez long-temps que ma mère se dévoue, il est temps que ce soit votre fille. Mon père, si vous le voulez, je ne vous quitterai ni jour ni nuit.

le marquis.

Ah ! tu n’auras pas le courage de le faire.

marguerite.

Si, mon père, si, je le ferai, aussi vrai que je suis votre fille !

le marquis.

Si tu es ma fille, pourquoi depuis dix ans ne t’ai-je pas vue ?

marguerite.

Mais on m’a dit que vous ne vouliez pas me voir, que vous ne m’aimiez pas.

le marquis, lui prenant la tête entre ses mains.

On a dit que je ne voulais pas le voir, figure d’ange ! on t’a dit cela ! on t’a dit qu’un pauvre damné ne voulait pas du ciel ! Et qui donc a dit le qu’un père ne voulait pas voir sa fille, qui a osé dire à un enfant : Enfant, ton père ne t’aime pas !

la marquise.

Moi.

le marquis.

.

Vous !… mais vous avec donc eu mission de me tromper dans toutes mes affections : il faut donc que toutes mes douleurs prennent leur source en vous, et que vous brisiez le cœur du