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emmanuel.

Vous ne pouvez vous battre avec moi ?

paul.

Sur l’honneur !

emmanuel.

Vous ne pouvez vous battre avec moi, dites-vous ?

Lectoure éclate de rire.
paul, se retournant.

Non ; mais je puis me battre avec monsieur, qui est un misérable et un infâme.

emmanuel.

Que veut dire… ?

paul, à Lectoure.

Vous avez entendu, n’est-ce pas ?

lectoure, froidement.

Oui ; seulement je regrette que vous ayez oublié, monsieur, qu’il est des hommes qu’on n’a pas besoin d’insulter pour les faire battre.

paul.

N’oubliez pas que vous avez le choix du temps, du lieu et des armes.

lectoure.

Emmanuel arrangera toutes ces choses avec votre témoin, vous comprenez qu’elles ne me regardent en aucune manière.

emmanuel.

J’espère que vous comprenez, monsieur, que, quant à moi, ce n’est que partie remise.

paul.

Silence ! on vient.

emmanuel.

Et vous restez ?

paul.

Je reste.

emmanuel.

Ici ?

paul.

Ici, ou dans cette bibliothèque, si vous l’aimez mieux.

Il entre dans la bibliothèque.
emmanuel.

Jasmin ! (Jasmin entre.) Faites entrer.



Scène IX

Les Mêmes, à gauche ; LA JARRY, DE NOZAY, UN NOTAIRE, à droite, tenant le contrat et le déposant sur la table ; plusieurs autres Gentilshommes.
laffeuille, annonçant.

Mme la marquise d’Auray.

la marquise, entrant par le fond.

Je suis bien reconnaissante, messieurs, de l’honneur que vous me faites, en assistant aux fiançailles de ma fille avec M. le baron de Lectoure : aussi ai-je désiré que le marquis, tout souffrant qu’il est, assistât à cette réunion et vous remerciât, du moins par sa présence, s’il ne peut le faire autrement. Vous connaissez sa situation, vous ne vous étonnerez donc pas si quelques mots sans suite…

lectoure.

Oui, madame, nous savons le malheur qui l’a frappé, et nous admirons la femme dévouée qui depuis vingt ans supporte la moitié de ce malheur.

emmanuel, baisant la main de sa mère.

Vous le voyez, madame, tout le monde est à genoux devant vous.

la marquise, à demi-voix.

Où est Marguerite ?

emmanuel, de même.

Elle était là il n’y a qu’un instant.

la marquise.

Faites-la prévenir.

laffeuille, annonçant.

Le marquis d’Auray.



Scène X

Les Mêmes, LE MARQUIS D’AURAY, en costume de cour et décoré de la croix de Saint-Louis.
Il est soutenu par deux domestiques : il s’arrête à la porte et regarde avec étonnement et d’un air égaré tout ce qui l’entoure ; puis s’avance, s’assied dans un fauteuil placé au milieu du salon près de la table et laisse en soupirant retomber sa tête sur sa poitrine. Emmanuel sort.
le notaire.

Ferai-je la lecture du contrat ?

la marquise.

C’est inutile, puisque les parties intéressées ont pris connaissance des conditions qu’il renferme. Monsieur le tabellion, offrez la plume.

De Nozay et La Jarry, signent comme témoins ; le premier après avoir signé passe à gauche, l’autre reprend sa place.
emmanuel, amenant Marguerite.

Voici, ma sœur Marguerite.

marguerite, après avoir salué, s’adressant à sa mère.

Madame !

la marquise, lui fait un geste sévère.

À vous, mon fils. (Emmanuel signe.) À vous, monsieur le baron. (Lectoure signe, lui rend la plume, et va se placer près de La Jarry. La marquise signe à son tour.) À vous, ma fille.

marguerite, faisant un pas.

Madame.

la marquise, lui tendant la plume au-dessus de la tête du marquis.

Signez !

marguerite, s’avance en chancelant, étend la main pour prendre la plume.

Non, non, jamais ! (Se jetant aux pieds du marquis.) Mon père, mon père ! prenez pitié de moi !

la marquise, se baissant, à demi-voix.

Que faites-vous ? êtes-vous folle ?

marguerite.

Mon père !