Page:Dumas - Paul Jones, 1838.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.

je demanderai à mon intendant où tout cela est. Emmanuel, voilà monsieur qui me dit une chose fort curieuse. Et prenez-vous beaucoup de canards de cette manière ?

de nozay.

Immensément.

lectoure.

Imaginez-vous que monsieur se met dans l’eau jusqu’au cou… à quelle époque ?

de nozay.

Mais au mois de décembre ou de janvier.

lectoure.

Se coiffe d’un potiron et se faufile dans les roseaux ; cela le change au point que les canards ne le reconnaissent pas, et se laissent approcher à portée, n’est-ce pas ?

de nozay.

Comme d’ici à vous.

lectoure.

Et monsieur en tue autant qu’il en veut ?

de nozay.

Des douzaines.

lectoure.

Cela doit faire grand plaisir à votre femme, si elle aime les canards.

de nozay.

Elle les adore.

lectoure.

Cela doit être une personne fort intéressante ?

de nozay, s’inclinant.

Monsieur…

lectoure.

Je vous assure que, de retour à Versailles, la première chose que je ferai sera de parler de cette chasse au petit lever, et je suis convaincu que sa majesté en fera faire l’essai dans la pièce d’eau des Suisses.

emmanuel, à demi-voix.

Pardon, baron, mais ce sont des voisins de campagne qu’il est impossible de ne pas recevoir dans une solennité comme celle-ci.

lectoure.

Comment donc ? mais vous auriez eu grand tort de m’en priver, il entre de droit dans la dot de ma future épouse, et j’aurais été désespéré de ne pas faire sa connaissance.

laffeuille, annonçant.

Monsieur de La Jarry !

lectoure, à M. de Nozay.

Un compagnon de chasse ?

de nozay.

Non, c’est un voyageur.



Scène VI

Les Mêmes, M. DE LA JARRY, avec une redingote fourrée.
emmanuel.

Eh ! mon cher La Jarry, comme vous voilà fourré ! sur mon honneur, vous avez l’air du czar Pierre.

la jarry.

C’est que… voyez-vous, comte, lorsque l’on arrive de Naples…

lectoure.

Ah ! monsieur arrive de Naples ?

la jarry.

En droiture, et je trouve qu’il fait un froid en Bretagne !

de nozay.

Avez-vous vu le Vésuve ?

la jarry.

Je l’ai entrevu. D’ailleurs, ce n’est pas ce qu’il y a de plus curieux à Naples, une montagne qui fume… ma cheminée en fait autant… et puis Mme La Jarry avait une peur effroyable des irruptions.

lectoure.

Vous avez été à la grotte du Chien, je présume.

la jarry.

Pourquoi faire ? pour voir une bête qui a des vapeurs… donnez une boulette au premier caniche, il en fera autant. Puis Mme La Jarry a la passion des chiens, et cela lui aurait fait de la peine.

emmanuel.

J’espère au moins qu’un savant comme vous n’a pas négligé la Solfatara ?

la jarry.

Moi, je n’y ai pas mis le pied. Je me figure bien ce que c’est : trois ou quatre arpens de souffre, voilà tout… qui ne rapportent absolument rien que des allumettes, et puis Mme La Jarry ne peut pas souffrir l’odeur du souffre.

emmanuel, bas à Lectoure.

Eh bien ! comment trouvez-vous celui-là ?

lectoure, de même.

Je ne sais pas si c’est parce que je l’ai vu le premier, mais je préfère l’autre.

laffeuille, annonçant.

M. Paul !

emmanuel, se retournant.

Hein ?

lectoure.

Encore un voisin de campagne ?

emmanuel.

Non, celui-là, c’est autre chose. — Comment cet homme ose-t-il se présenter ici ?

lectoure.

Roturier, vilain, n’est-ce pas ? — Poète, peintre, musicien, quelque chose comme cela ! Eh bien, je vous assure, Emmanuel, que l’on commence à recevoir cette espèce ; cette maudite philosophie confond tout. Un artiste s’assied près d’un grand seigneur, le coudoie, le salue du coin du chapeau, reste sur son siège, quand il se lève. Ils parlent ensemble des choses de cour, ils ricanent, ils plaisantent, ils chamaillent ; c’est un mauvais goût de très-bon ton.

emmanuel.

Vous vous trompez, Lectoure ; ce n’est ni un poète, ni un peintre, ni un musicien, c’est un homme auquel il faut que je parle seul. (Prenant le bras de La Jarry.) Si vous voulez passer un in-