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lectoure.

Il ne faudrait pas me le dire.

marguerite.

Et pourquoi ?

lectoure.

Parce que… parce que… c’est trop naïf.

marguerite.

Et si je ne vous le disais point par naïveté, si je vous le disais par délicatesse, si j’ajoutais… monsieur, et que la honte de cet aveu retombe sur ceux qui me forcent à le faire, que j’ai aimé, que j’aime encore ?

lectoure.

Quelque petit cousin, n’est-ce pas ? c’est une race maudite, qui se fourre partout, et qui nous écorne toutes nos femmes en jouant au furet du bois joli, ou à la toilette de madame. Mais on sait ce que c’est que ces sortes d’attachement : il n’y a pas une pensionnaire qui, à la fin des vacances, ne rentre au couvent avec une passion dans le cœur.

marguerite.

Malheureusement pour moi, je ne suis plus une pensionnaire, monsieur, et, quoique jeune encore, j’ai depuis long-temps passé l’âge des jeux puérils et des attachemens enfantins. Lorsque je parle à l’homme qui me fait l’honneur de solliciter ma main, de mon amour pour un autre, il doit penser que je lui parle d’un amour grave, profond, éternel ; d’un de ces amours qui creusent leur trace dans le cœur et leur passage dans la vie.

lectoure.

Diable ; mais c’est de la bergerie, cela… voyons, est-ce un jeune homme que l’on puisse recevoir ?

marguerite.

Oh ! c’est l’être le meilleur, le plus dévoué.

lectoure.

Je ne parle pas des qualités du cœur ; il les a toutes, c’est convenu… je vous demande s’il est de noblesse, s’il est de race… si une femme peut… l’avouer enfin… sans faire tort à son mari ?

marguerite.

Son père, qu’il a perdu encore jeune, était conseiller à la cour de Rennes.

lectoure.

Noblesse de robe, j’aimerais mieux autre chose ; mais enfin tout le monde n’a pas le bonheur du duc de Longueville, qui choisit lui-même les amans de sa femme. Pardon, voilà… il laissera passer six mois pour les convenances, mettra ses connaissances en quête pour quelque charge à la cour, se fera présenter chez vous par un ami commun, et tout sera dit.

marguerite.

Je ne vous comprends pas, monsieur !

lectoure.

C’est pourtant limpide, ce que je vous dis : vous avez des engagemens de votre côté, j’en ai du mien, cela ne doit pas empêcher une union convenable sous tous les rapports de s’accomplir, et, une fois accomplie, eh bien, il faut la rendre tolérable.

marguerite, reculant.

Pardon, monsieur, j’ai été bien imprudente, bien coupable peut-être ; mais je ne croyais pas encore mériter une pareille injure… Oh ! oh ! le rouge de la honte me monte au front plus encore pour vous que pour moi. Oui, je comprends, un amour apparent et un amour caché, le visage du vice et le masque de la vertu ; et c’est à moi, à la fille de la marquise d’Auray, qu’on propose ce marché honteux, avilissant, infâme ! Oh ! il faut donc que je sois une créature bien malheureuse, bien méprisable et bien perdue !

Elle tombe sur une chaise et cache son visage dans ses mains.
lectoure, appelant.

Emmanuel ?

Emmanuel entre.



Scène III

EMMANUEL, LECTOURE, MARGUERITE.
lectoure.

Mon cher, votre sœur a des spasmes, il faut faire attention à ces choses, ou cela devient chronique. Mme de Meulan en est morte, tenez, voilà mon flacon, faites-le lui respirer !

Il sort par le fond.



Scène IV

EMMANUEL, MARGUERITE.
emmanuel.

Marguerite, Marguerite… Eh bien ! qu’est-ce que tu fais donc ? tu pleures ? Allons, de la tenue, nous avons déjà trois ou quatre personnes, le notaire est arrivé, mon père va descendre.

marguerite.

Mon père !… es-tu sûr que mon père ?

emmanuel.

Mais il le faut bien.

marguerite.

Eh bien, oui, c’est mon seul, mon dernier, mon unique espoir ; mon Dieu, donnez-moi le courage.

Elle sort par la gauche.
emmanuel.

Pauvre sœur, je crois que tu ferais mieux de lui demander la raison. Allons, voilà Lectoure en conversation avec M. de Nozay.



Scène V

DE NOZAY, LECTOURE, EMMANUEL.
lectoure.

Mais savez-vous que c’est une chasse charmante et tout-à-fait de bonne compagnie ; moi aussi, j’ai des marais, des étangs et des canards ;