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marguerite.

Ainsi, ce soir…

paul.

Ne vous étonnez, ne vous effrayez de rien ; seulement tâchez de me faire comprendre par un mot le résultat de votre entretien avec Lectoure.

marguerite.

Adieu !

paul.

Adieu !

marguerite, lui serrant la main.

Adieu, vous que je ne sais de quel nom nommer.

paul.

Nommez-moi votre frère.

marguerite.

Adieu, mon frère !

paul.

Adieu, ma sœur ; tu es la première qui m’ait fait entendre une aussi douce parole ! Dieu t’en récompense, jeune fille ! (Marguerite sort : Paul appelant.) Achard ! (Achard paraît.) Maintenant, conduis-moi à la tombe de mon père !


fin du deuxième acte.

ACTE TROISIÈME.

Même décoration qu’au premier acte ; les candélabres qui sont sur la cheminée sont allumés.

Scène PREMIÈRE

EMMANUEL, LE BARON DE LECTOURE.
emmanuel.

Permettez, mon cher baron, que je vous fasse les honneurs du manoir de mes ancêtres. Cela date de Philippe-Auguste, comme architecture, et de Henri IV comme décoration.

lectoure.

C’est sur mon honneur une charmante forteresse, et qui répand à trois lieues à la ronde une odeur de baronie à parfumer un fournisseur. Si jamais il me prenait la moindre velléité de rébellion contre sa majesté, je vous prierais de me prêter ce bijou (regardant les tableaux), et la garnison avec.

emmanuel.

Trente-trois quartiers, pas davantage : cela commence à un chevalier Hugues d’Auray, qui accompagna Louis VII à la croisade ; cela passe par ma tante Débora, que vous apercevez en grand costume de bergère, une houlette à la main, un nid d’oiseau-mouche dans les cheveux, un bichon sur les genoux ; et cela vient définitivement aboutir, sans interruption dans la branche masculine, au dernier membre de cette illustre famille, votre très-humble et très-obéissant serviteur, Emmanuel d’Auray.

lectoure.

C’est tout-à-fait respectable.

emmanuel.

Oui ; mais je ne me sens pas assez patriarche pour passer ma vie dans cette société ; aussi j’espère, baron, que vous avez pensé à me tirer de ce terrier.

lectoure.

Je voulais vous apporter votre commission de colonel des dragons de la reine ; je savais l’office vacant, et je faisais des démarches, lorsque j’appris que la chose était accordée à la requête de je ne sais quel amiral mystérieux, une espèce de pirate, de corsaire, que sa majesté a pris en affection parce qu’il a battu les Anglais à White-Haven, où il a escaladé un fort, et sur les côtes d’Irlande, où il leur a pris un vaisseau : pour ces deux exploits, sa majesté l’a décoré de l’ordre du mérite militaire, et lui a donné une épée avec une garde en or, comme il aurait pu faire à quelqu’un de noblesse : bref, c’est partie perdue de ce côté, nous nous tournerons d’un autre.

emmanuel.

Et la croix ?

lectoure.

Oh ! pour cela c’est chose facile, j’ai promesse de M. de Vaudreuil.

emmanuel.

Très-bien, vous comprenez que peu m’importe l’arme à moi ; ce que je veux, c’est un grade qui aille à mon nom.

lectoure.

Parfaitement !

emmanuel.

Et comment vous êtes-vous tiré de tous vos engagemens ?

lectoure.

En disant la vérité ; j’ai annoncé publiquement que je me mariais.

emmanuel.

C’est du courage, surtout si vous avez avoué que vous preniez femme au fond de la Bretagne.

lectoure.

Je l’ai avoué.

emmanuel.

Et alors la compassion a fait place à la colère.

lectoure.

Ah ! vous comprenez : nos dames de la cour croient que le soleil se lève à Paris et se couche à Versailles, tout le reste de la France c’est de la Laponie, du Groënland, de la Nouvelle-Zemble ; de sorte qu’on s’attend à voir arriver quelque chose d’inconnu, avec des mains terribles et des pieds formidables… et l’on s’est trompé, n’est-ce pas,