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une nuit de désespoir et d’adieu, que tant que cette bague ne vous serait pas rendue…

marguerite.

Je ne serais à personne… Eh bien ?…

paul.

Connaissez-vous cette bague ?

marguerite.

Miséricorde ! il est mort !

paul.

Marguerite, il est vivant, il vous aime.

marguerite.

S’il est vivant, s’il m’aime, comment cette bague est-elle entre vos mains ?

paul.

Exilé, proscrit, il a pensé qu’il était de sa délicatesse de vous offrir de vous rendre la liberté, de disposer de votre cœur.

marguerite.

Lorsqu’une femme a fait pour un homme ce que j’ai fait pour lui, elle ne doit aimer plus que cet homme et n’appartenir jamais qu’à Dieu !

paul.

Marguerite, vous êtes un ange.

marguerite.

Dites-moi, vous l’avez donc vu ?

paul.

C’est moi qui fus chargé de le déporter à Cayenne : pendant la traversée, il me dit tout et je vis que l’on m’avait fait l’instrument de la vengeance et non de la justice ! Alors, je pensai que la Providence m’avait choisi pour être le juge des juges ; Lusignan est exilé, mais libre, et il attend à New-York le résultat des démarches que ses amis à cette heure ont déjà faites à la cour.

marguerite.

Et vous croyez obtenir sa grâce ?

paul.

J’ai obtenu mieux que cela.

marguerite.

Laissez-moi baiser vos mains, monsieur.

paul.

Venez dans mes bras, Marguerite, vous êtes une sainte jeune fille.

marguerite.

Vous ne me méprisez donc pas ?

paul.

Marguerite, si j’avais une sœur, je prierais Dieu qu’elle vous ressemblât.

marguerite.

Vous auriez une sœur bien malheureuse !

paul.

Peut-être.

marguerite.

Oh ! vous ne savez pas ?

paul.

Dites.

marguerite.

M. de Lectoure doit être arrivé à cette heure.

paul.

Je le sais.

marguerite.

Ce soir on signe le contrat.

paul.

Et vous le signerez ?

marguerite.

Ils me forceront.

paul.

Ne vous sentez-vous pas la force de résister ?

marguerite.

Je me sens la force de mourir.

paul.

Pauvre enfant !

marguerite.

À qui voulez-vous que je m’adresse ? qui voulez vous que je prie ? qui voulez-vous que j’implore, mon frère ? Dieu sait si je lui pardonne, mais il ne peut me comprendre ; ma mère ! Oh ! monsieur, vous ne la connaissez pas ma mère : c’est une femme d’une vertu sévère, d’une volonté inflexible, et lorsqu’elle a dit : Je le veux ! il n’y a plus qu’à pleurer et à obéir. Mon père ! vous ne savez peut-être pas, monsieur ? il est insensé, il a perdu la raison, et avec elle, tout sentiment d’amour paternel… il y a dix ans que je ne l’ai vu, mon père ; il y a dix ans que je n’ai pressé ses mains tremblantes, que je n’ai baisé ses cheveux blancs. Il ne sait plus s’il a un cœur, s’il a des enfans, s’il a une fille… il ne me reconnaîtra pas, et, me reconnût-il, eût-il pitié de moi, ma mère lui mettra une plume entre les mains, lui dira : Signez, je le veux ! et il signera, le pauvre et faible vieillard, et Marguerite sera condamnée.

paul.

Marguerite, je serai à la signature de ce contrat.

marguerite.

Et qui vous introduira au château ?

paul.

J’ai un moyen.

marguerite.

Oh ! mon frère est brave, emporté ; son ambition s’ouvre un avenir par mon mariage… Oh ! monsieur ! monsieur !

paul.

Votre frère m’est aussi sacré que vous-même, ne craignez rien !

marguerite.

Vous me faites frémir.

paul.

Que comptez-vous faire avec Lectoure ?

marguerite.

Lui demander un entretien.

paul.

Et dans cet entretien ?

marguerite.

Lui tout dire.

paul, inclinant un genou.

Laissez-moi vous adorer.

marguerite.

Monsieur…

paul.

Oh ! comme une sœur.

marguerite.

Oh ! vous êtes bon, et je crois que c’est Dieu qui vous envoie.

paul.

Croyez !