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paul.

Pauvre sœur ; et maintenant, ne veut-elle pas la sacrifier, en la mariant malgré elle à ce misérable Lectoure ?

achard.

Oui ; mais ce misérable Lectoure emmène sa femme à Paris, donne un régiment de dragons à son frère. La marquise ne craint plus la présence de ses enfans ; son secret reste alors entre elle et deux vieillards, qui demain, cette nuit, peuvent mourir ; et la douairière d’Auray, modèle d’amour maternel et de vertu conjugale, leur survit, entourée de la considération du monde.

paul.

Oh ! crois-tu que ma mère… ?

achard.

Pardon ! c’est vrai, je ne crois rien, j’ai tort ; oubliez ce que j’ai dit, vous-même en jugerez… Ai-je besoin d’ajouter que les dernières volontés de votre père furent fidèlement exécutées : Fild vint vous chercher, dans la journée vous partîtes ; vingt-un ans se sont écoulés depuis cette époque, et depuis cette époque, pas un jour n’a passé sans me voir faire des vœux pour le fils, agenouillé sur la tombe du père : ces vœux sont exaucés, Dieu merci ! Vous voilà… votre père revit en vous ; je le revois, je lui parle, je suis consolé.

paul, regardant par la fenêtre.

Silence, on vient !

achard.

C’est un domestique du château.

paul.

Marguerite l’accompagne… Marguerite, ma sœur !… Tu me laisseras seul avec cette enfant, Achard ; je voudrais lui parler.

achard.

Songez que votre secret est celui de votre mère !

paul.

Sois tranquille, je ne lui parlerai que du sien. (Achard entre.) Pauvre enfant ! cet intérêt que j’éprouvais pour toi hier, en te voyant, c’était donc de l’amour fraternel… Enfin !…



Scène IV

PAUL, MARGUERITE, LAFFEUILLE.
marguerite.

C’est bien, Laffeuille ; posez là ces provisions, et allez m’attendre à la porte du parc. (Laffeuille sort.) Pardon, monsieur ; mais je croyais trouver ici Louis Achard ?

paul.

Dans cette chambre.

marguerite, entrant.

Merci.



Scène V

PAUL, seul.
paul.

Oh ! pauvre isolé que je suis ! comment ferai-je ne pas te serrer dans mes bras, pour ne pas te dire : Marguerite, nulle femme ne m’a jamais aimé d’aucun amour ; aime-moi d’un amour fraternel… car je suis le fils de ta mère ?… Oh ! ma mère, en me privant de votre amour, vous m’avez privé aussi de l’amour de cet ange. Dieu vous rende dans l’éternité le bonheur que vous avez éloigné de vous et des autres.



Scène VI

MARGUERITE, PAUL.
marguerite, à la porte qui sépare les deux chambres.

Adieu, Achard ! j’ai voulu venir moi-même ; qui sait maintenant quand je pourrai vous revoir ?

Elle va pour sortir par la porte du fond.
paul.

Marguerite ! (Elle se retourne étonnée ; mais fait un second mouvement pour sortir.) Marguerite, n’entendez-vous pas que je vous appelle ?

marguerite.

Il est vrai que vous avez prononcé mon nom, monsieur ; mais je ne pouvais penser… ne vous connaissant pas…

paul.

Mais je vous connais, moi ; je sais que vous êtes malheureuse ; je sais que vous n’avez pas un cœur où verser votre peine, pas un bras à qui demander un appui.

marguerite.

Vous oubliez celui qui est là-haut, monsieur.

paul.

Et, si loin de l’oublier, je me croyais envoyé par lui ; si je vous disais : Marguerite, je suis votre ami, votre ami dévoué ?

marguerite.

Je vous demanderais, monsieur, quelle preuve vous pouvez me donner de cette amitié et de ce dévouement ?

paul.

Et si je vous en donnais une ?

marguerite.

Laquelle ?

paul.

Irrécusable.

marguerite, avec espoir.

Oh ! alors !…

paul.

Vous au bras gauche un bracelet…

marguerite.

Qui vous l’a dit ?

paul.

Le bracelet se ferme avec un cadenas dont la clef est cachée dans une bague.

marguerite.

Oh ! mon Dieu !

paul.

Et il y a un homme à qui vous a juré, dans