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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

para des conjurés : le cri de « Sauve qui peut ! » se fit entendre ; les soldats se jetèrent parmi les fuyards, et trois nouvelles arrestations furent opérées.

À deux heures de l’après-midi, une frégate sortit du port pour donner la chasse au Carlo-Alberto, que l’on apercevait flottant à l’horizon, sans voiles ni vapeur ; mais, à la vue des dispositions hostiles que l’on prenait contre lui, le Carlo-Alberto chauffa et appareilla, se couvrit de fumée et de voiles, et disparut en courant sud-est.

Ce fut un bonheur pour la duchesse de Berry : on la croyait à bord du bâtiment ; le Carlo-Alberto ayant regagné la haute mer, on fut convaincu qu’il l’avait emportée avec lui.

Elle, cependant, attendait toujours dans la petite maison. Les personnes qui restaient avec elle purent avoir une idée de son impatience lorsqu’elle vit arriver une heure, deux heures, trois heures.

Enfin, à quatre heures, deux messagers parurent, effarés, hors d’haleine, et crièrent en arrivant :

— Le mouvement a manqué ! il faut à l’instant même quitter la France !

La duchesse se roidit contre le coup, et eut la force de sourire.

— Sortir de France ? dit-elle. C’est ce qui ne me paraît pas prouvé ; ce qui est urgent, c’est de sortir d’ici, afin de ne pas compromettre nos hôtes : on peut avoir suivi les messagers.

Au surplus, quitter la France n’était pas chose facile. Le Carlo-Alberto avait disparu ; on ne pouvait donc regagner le Piémont qu’en suivant le chemin d’Annibal. Ne valait-il pas mieux tout risquer, couper la France dans sa largeur, et profiter de la conviction où était la police que la duchesse de Berry avait fui sur le Carlo-Alberto, pour aller tenter dans la Vendée un soulèvement qui venait si piteusement d’échouer à Marseille ?

Ce fut l’avis de la duchesse, et, avec cette rapidité de décision qui est une des puissances de son caractère aventureux, elle donna l’ordre de se préparer au départ.

On n’avait ni voitures, ni chevaux, ni mules ; mais la du-