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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

un homme ruiné ! me dit-il ; je vous ai trompé, c’est vrai… Maintenant, qu’allez-vous faire ?… Arrêter la pièce ! — Vous n’y parviendrez pas : j’en change le titre, et je la joue. Vous m’attaquez en contrefaçon, vol, plagiat, tout ce que voudrez : vous obtiendrez douze cents francs de dommages-intérêts. Demandez à un agréé ! Si vous laissez jouer, au contraire, vous gagnerez douze mille francs, etc. » Il disait vrai, car telle est la protection que, d’ordinaire, nos juges accordent à l’écrivain qu’on dépouille !… Je rentrai chez moi pâle de rage, et ce fut alors que je trouvai la magnifique lettre de M. Dumas, citée par moi au commencement de cet article. Tels sont les premiers faits.

Que direz-vous, maintenant, de ces lignes de M. Dumas ? « J’écrivis au jeune homme, et le jeune homme ne me fit pas l’honneur de me répondre ! Cette fois, c’est la philosophie de la véracité à sa quatrième puissance ! On n’y croirait pas, si je n’avais entre les mains les titres et les moyens de prouver ce que j’avance !

M. Dumas n’ayant point accédé à la prière, à la sommation que je lui avais faite d’arrêter les répétitions de la pièce (ce qui fut la première, sinon la seconde, de ses fautes, dont il ne se lavera jamais, parce qu’elle prouve sa complicité), et M. Harel me menaçant de jouer malgré moi, — ce qu’il était capable de faire moralement et physiquement, — il ne me restait plus qu’à laisser représenter mon drame aux conditions stipulées dans la lettre de M. Dumas, et dans laquelle il était dit que son nom ne serait pas prononcé, que je resterais seul auteur, que c’était un service qu’il voulait me rendre et non pas me vendre.

Eh bien, le lendemain de la première représentation, des étoiles parurent sur l’affiche avant mon nom, et, aujourd’hui, M. Dumas veut remplacer mon nom par le sien : on voit qu’il y a progression !

Ce n’est pas tout. Quand il s’agit de payement, on ne voulut plus me donner qu’une part. Or, écoutez bien : la commission des auteurs avait fait, dans le courant d’avril, avec M. Harel, et avant la représentation de ma pièce, un traité qui stipulait un droit de dix pour cent pour les auteurs, dans les spectacles à venir de la Porte-Saint-Martin. J’avais donc droit au bénéfice de ce traité. M. Dumas en jouissait, et au delà : aussi touchait-il deux et trois cents francs par soirée. Que me réservait-on, à moi ? Quarante-huit francs, prix d’un ancien traité ! et M. Dumas m’en prenait la moitié… Voilà le service qu’il avait voulu me rendre et non me vendre !!!

Il n’y avait que les tribunaux à invoquer contre de pareils actes, comme il n’y a que la police correctionnelle contre le vol et la filouterie. C’est donc aux tribunaux que j’eus recours.