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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le lecteur a déjà saisi par quels points se touchent les deux drames. Ces points, dans le peu que j’ai cité, et cité fidèlement, on pense (car si j’étais homme à m’affubler audacieusement d’un mensonge, moi, mon adversaire aurait en mains de quoi me démasquer !) ces points ne sont-ils pas déjà les bases fondamentales du drame joué ? N’en sont-ce pas et les os et la moelle, les matériaux et la charpente ?… Oui, j’ose le dire, n’eussé-je fait que cela dans la pièce, j’aurais fait plus de la moitié du drame, par conséquent dix fois, vingt fois plus que M. Dumas ne m’accorde, puisqu’il ne m’accorde rien. Rien ! il a osé l’écrire et l’imprimer en toutes lettres ! Mais, d’après ce que nous savons de lui, de quoi pouvons-nous et devons-nous nous étonner ?

M. Harel m’avait exprimé plusieurs regrets : le premier que le drame ne fût pas en tableaux : ce genre convenait mieux aux allures de son théâtre, et le succès de Richard appuyait cette opinion ; le second, que je n’eusse pas fait Buridan père de Gaultier et de Philippe, dont on ne connaissait que la mère (Marguerite). « Cela compliquerait l’intrigue, » me disait-il.

Enfin, il trouvait invraisemblable que Marguerite, reine et tout-puissante, ne fît pas arrêter et disparaître Buridan dès les premiers mots de sa révélation.

Du rapprochement de ces deux dernières objections jaillit pour moi, soudain, une lumière immense.

Que Buridan soit père, en effet, au moyen d’une intrigue préexistante, et qu’il soit arrêté par Marguerite, qui voudra s’en défaire ; puis, au moment de son plus grand péril, qu’il se fasse reconnaître, et voilà l’occasion d’une scène magnifique, capitale !

La scène de la prison était trouvée.

Deux jours après le jour où Janin avait renoncé au drame, comme l’athlète épuisé à la tâche trop ardue, je portai au directeur de la Porte-Saint-Martin, M. Harel, un scénario qui était, à peu de chose près, celui de la Tour de Nesle.

Je vais pourtant indiquer les différences.

Orsini n’était point tavernier : c’était Landry, quoique tous deux fussent des hommes de la tour de Nesle. Quant à Orsini, c’était un de ces magiciens fort redoutés, dans ce temps, sous le nom d’envoûteurs. Confident de Marguerite, il recevait chez lui les seigneurs de la cour, rôle à peu près semblable au Ruggieri d’Henri III ; c’est pour cela, je pense, que M. Dumas l’a fait tavernier à la place de Landry.

Deuxièmement, la scène de la prison était ainsi placée, que Buridan fit terminer son récit en tendant les mains à Marguerite, et lui