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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Deux jours après, le 29 mars, j’allai voir ce qu’était devenu mon drame janinisé !… Quelle fut ma surprise en voyant tout un acte récrit ! « Mais c’est un travail bien grand, dis-je à part au directeur. M. Janin fait beaucoup plus que je n’avais désiré ; mais je ne crois pas mon style si mauvais qu’il faille… — Non, non, certainement, me répondit M. Harel ; mais Janin y met de l’amour-propre, il veut au moins faire sa part. — Comment, sa part ? — Oui, sa moitié. — Mais c’est donc une collaboration ? Il y a un malentendu ; je vais le dire à M. Janin. — Ah ! qu’allez-vous faire ? vous allez offenser Janin, Janin le plus puissant des feuilletonistes ! Vous vous créez un ennemi pour la vie. — Bah ? — C’est comme je vous le dis. Vous ne savez pas ce que c’est que le théâtre ! — Mais… — Et puis, d’ailleurs, il y a commencement d’exécution ! les choses ne sont plus entières. Vous êtes liés de part et d’autre ! etc., etc. » Si bien que M. Harel, me voyant étourdi, prit une feuille de papier, y griffonna le traité que j’ai transcrit plus haut, me le fit signer… Et voilà comment j’eus mon premier collaborateur.

Alors, j’attribuai cet évènement à un malentendu ; aujourd’hui, je, l’attribue à un très-bien-entendu : les idées changent avec le temps !

Mais le jour était venu où M. Janin devait nous lire son travail. Je n’en dirai rien, car je pratique, autant que je le puis, la charité avec mes ennemis mêmes !… Qu’on sache seulement que, d’un commun accord, ce travail fut jugé non avenu. Janin se retira et se désista complètement (j’en donnerai la preuve écrite), et M. Harel revint purement et simplement à mon drame.

Or, depuis le jour où j’avais lu ma pièce, j’avais conçu de nouvelles idées et des améliorations dues tant à la discussion et aux critiques du directeur qu’à mes réflexions propres.

Mais, afin d’éclairer le public sur les mystères vrais de l’enfantement de la Tour de Nesle, et de l’initier, pour ainsi dire, aux phases et aux développements du travail par lequel fut engendré ce drame, monstre par son succès et par les querelles qu’il soulève, je vais dire et établir succinctement ce qu’était, en gros et dans ses rapports avec le drame représenté, le drame que je lus à M. Harel, et qui me revint, à l’époque dont je parle. Il sera facile à tous de me comprendre d’abord (qui n’a vu la Tour de Nesle ?), de me vérifier ensuite, M. Dumas ayant entre les mains le manuscrit primitif, et le montrant à qui le désire ; aussi peut-on être assuré que je dirai plutôt moins que plus. Je cite de mémoire, et mon adversaire tient le livre !

Ici, M. Gaillardet donnait le résumé de son premier manuscrit ; puis il continuait ainsi :