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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je passai la journée à écraser le bec d’une plume sur du papier. Le soir, Verteuil entra à l’heure convenue ; j’étais mort de fatigue, mais le tableau était fait ; c’était celui de la taverne.

— À quelle heure faut-il que je revienne ? me dit Verteuil.

— Demain, à quatre heures.

— Et j’aurai le second tableau ?

— Vous l’aurez.

— Merveilleux !…

— Seulement, laissez-moi tranquille.

— Je m’en vais.

Verteuil partit.

Je me souvins alors de ce que m’avait dit M. Harel, et des beautés de style qui existaient, selon lui, dans le commencement de l’ouvrage. La première chose qui me frappa en jetant les yeux sur les noms des personnages, c’est que le héros principal s’appelait Anatole, nom qui me parut singulièrement moderne pour un drame du xive siècle ; je n’en continuai pas moins ma lecture.

Il y avait une indication de scène dont je profitai, et, comme je l’ai dit, des choses admirables de style. Je n’en pris, cependant, que la tirade des grandes dames, — Ainsi, c’est à Janin, et non à moi, que les marquises du faubourg Saint-Germain doivent jeter la pierre. — Quant aux deuxième, troisième, quatrième et cinquième actes, ils s’écartaient tellement des habitudes du théâtre, qu’il était impossible d’en rien tirer ; néanmoins, la magie du style me les fit lire jusqu’au bout ; mais, la lecture achevée, je posai là le manuscrit, et ne le rouvris plus.

Le lendemain, Verteuil fut exact, et, moi, je fus ponctuel. Il emporta son second tableau.

Lorsque les trois premiers actes furent finis, on les lut aux acteurs sans attendre les deux derniers. Selon nos conventions, mon nom ne fut pas prononcé, je ne parus point à la lecture, et M. Harel remplaça l’auteur présumé, qui était toujours absent de Paris.

Au bout de huit jours, M. Harel eut son drame complètement terminé.

J’écrivis alors au jeune homme pour le prévenir que sa première représentation allait avoir lieu.

Le jeune homme ne me fit pas l’honneur de me répondre ; il prit la voiture, arriva à Paris, et trouva chez lui ses billets de répétitions.

Il courut à la Porte-Saint-Martin, entra comme on commençait le deuxième acte, l’écouta assez tranquillement, ainsi que le troisième ; mais, enfin, perdant patience après la scène de la prison, il monta sur le théâtre, et demanda si l’on allait bientôt commencer la répétition de