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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Que bonnement me deffendrai,
Ou tel champion baillerai,
Qui bien saura mon droit deffendre,
S’il vous ples à mon gage prendre. »

Elle parvint, en effet, à se justifier tant bien que mal, et son mari Philippe le Long la rappela près de lui.

Frédéric Gaillardet.

Il n’y avait dans tout cela rien de bien offensant pour moi ; mais j’avais été tellement irrité à propos de toute cette histoire, que je m’étais bien promis, à la première occasion qui se présenterait d’être désagréable à M. Gaillardet, de ne pas la laisser échapper.

L’occasion se présentait, je la saisis.

J’écrivis ab irato la lettre suivante, et j’eus tort. Je ne puis pas dire mieux que de l’avouer, j’espère.

Monsieur le directeur.

En feuilletant l’un de vos derniers numéros, je tombe sur un article dans lequel M. Gaillardet raconte comment il a fait son drame de la Tour de Nesle. Je n’aurais jamais cru que de pareils détails fussent d’un intérêt bien vif pour le public ; mais, puisque M. Gaillardet en pense autrement, je me range à son avis, et je vais vous raconter à mon tour comment j’ai fait le mien.

Je dois avouer, d’abord, que sa naissance, ou plutôt son incarnation, son idée première, s’infiltra dans mon esprit d’une manière moins subite, moins inspirée, et, par conséquent, moins poétique, qu’elle ne le fit dans le sien. Elle ne me vint point frapper sur le pont des Arts, vers le soir d’un beau jour d’été, à cette heure où les rayons du soleil occidental empourprent l’horizon de la grande cité ; elle ne me vint point, enfin, en regardant le palais mazaréen qu’on appelle vulgairement l’institut. Voilà pourquoi ma Tour de Nesle, à moi, est si peu académique.

Non ; mais vous vous rappelez peut-être cette époque désastreuse où le choléra, bondissant de Saint-Pétersbourg à Londres, et de Londres à Paris, vint tomber à l’Hôtel-Dieu, étendant comme un drapeau noir ses deux ailes sur la ville maudite. Le riche, dans son égoïsme, espéra d’abord que le souffle empesté du démon resterait enfermé dans l’hô-