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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Dans l’origine, la tour et la porte de Nesle avaient le nom de Philippe Hamelin, leur constructeur ou leur premier propriétaire, je ne sais. Plus tard, elles empruntèrent leur nom de l’hôtel, devenu considérable. Les fenêtres de la tour et une terrasse de l’hôtel donnaient sur la rivière.

Brantôme (c’est à lui que je reviens maintenant), dans le discours deuxième, art. 1er, de ses Femmes galantes, raconte qu’une reine de France dont il ne dit pas le nom se tenait là d’ordinaire, « laquelle faisait le guet aux passants, les faisoit appeler et venir à soy ; et les faisoit précipiter du haut de la tour qui paroît encore, en bas, en l’eau, et les faisoit noyer… Je ne veux pas dire, ajoute-t-il, que cela soit vrai ; mais le vulgaire, au moins la plupart de Paris, l’affirme ; et n’y a si commun qui, en lui montrant la tour seulement, et en l’interrogeant, de lui-même ne le die. »

Jean Second, poëte hollandais, mort en 1536, appuie l’assertion de Brantôme dans une pièce de vers latins qu’il a composée sur la tour de Nesle (Epigramm. libro, pag. 140, edit. Lugd. Batav.)

Mayerne en fait mention dans son Histoire d’Espagne, t. I, p. 560.

Villon, qui écrivait ses vers au xve siècle, dans un temps plus rapproché de l’événement, y ajoute son témoignage. Donnant quelques détails nouveaux, il nous apprend que les malheureuses victimes étaient renfermées dans un sac, puis jetées dans la rivière. À la seconde strophe de sa Ballade des Dames du temps jadis, il se demande :

......Où la royne
Qui commanda que Buridan
Fust jeté, en ung sac, en Seine ?

Ce Buridan dont parle Villon échappa au piége, on ne sait comment. Il se retira à Vienne en Autriche, où il fonda une université, et son nom devint célèbre dans les écoles de Paris, au xve siècle.

En 1471, un maître ès arts de l’université de Leipzig composa un petit ouvrage sous le titre de Commentaire historique sur les jeunes écoliers parisiens que Buridan, etc.

Comme on le voit, la chronique de la tour de Nesle était devenue européenne.

Cette reine dont parlent à la fois Brantôme, Jean Second, Mayerne et Villon, passa successivement pour être Jeanne de Navarre, épouse de Philippe le Bel, puis Marguerite de Bourgogne, première femme de Louis X, ainsi que ses deux sœurs, Jeanne et Blanche, toutes trois les brus de Philippe le Bel.