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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

les tigres ! Mais je me laisse aller à des réflexions de poëte, et j’oublie que je suis et ne veux être qu’un conteur.

Parlons du monument, d’abord ; ensuite, je parlerai de ses mystères.

Au temps du roi Philippe le Bel et de ses fils, Paris avait pour limite, en descendant la rive gauche de la Seine, une enceinte élevée par Philippe-Auguste, qui lui donna son nom. Cette enceinte, dont les murailles correspondaient, à peu près, aux dernières tours du Louvre, avait pour défense extérieure un fossé qui communiquait avec la Seine, et en conduisait les eaux jusqu’à la porte de Bussy.

Au delà de l’enceinte étaient le grand et le petit Pré-aux-Clercs, ainsi nommés parce qu’ils servaient de promenade, les jours de fête, aux écoliers de l’Université. Ils embrassaient l’espace occupé maintenant par les rues des Petits-Augustins, des Marais-Saint-Germain, du Colombier, Jacob, de Verneuil, de l’Université, des Saints-Pères, etc.

En deçà, et adossé à l’enceinte, était l’hôtel de Nesle, qui présentait une façade de onze grandes arcades, avec enclos planté d’arbres, et dont l’extrémité, du côté du quai, était attenante à l’église des Augustins. Cet hôtel occupait l’emplacement du collège Mazarin, de l’hôtel de la Monnaie et autres lieux contigus : sa cour spacieuse, ses bâtiments et ses jardins étaient à peu près circonscrits par les rues Mazarine, de Nevers, et le quai Conti, autrefois nommé quai de Nesle.

Amaury de Nesle, propriétaire de cet hôtel, le vendit en 1308, à Philippe le Bel pour la somme de cinq mille livres ; Philippe le Long le donna à Jeanne de Bourgogne, sa femme, et celle-ci, par son testament, en ordonna la vente, pour que le prix fût appliqué à la fondation d’un collége qui fut appelé collège de Bourgogne. En 1381, Charles VI le vendit au duc de Berry, son oncle. Trouvant les jardins trop circonscrits, ce dernier leur adjoignit, en 1385, sept arpents de terre situés au delà des fossés de la ville, et, pour établir la communication, il fit construire un pont sur le fossé. Cette partie extérieure fut nommée petit séjour de Nesle.

Des mains du duc de Berry, l’hôtel passa encore entre celles de plusieurs princes, et fut, enfin, aliéné par Henri II et Charles IX, en 1552 et 1570. Sur son terrain s’élevèrent différentes constructions telles que l’hôtel de Nevers, l’hôtel de Guénégaud, qui, depuis, a pris le nom de Conti ; plus tard, enfin, ce qui restait de cet hôtel fut démoli pour faire place au collége Mazarin, aujourd’hui palais de l’Institut.

À l’extrémité occidentale de l’hôtel, à l’angle formé par le cours de la Seine et le fossé de l’enceinte de Philippe-Auguste, étaient la porte et la tour de Nesle, les seules qui soient représentées sur la gravure placée en tête de cette notice.